Le XIXe siècle a vu se multiplier
les récits de voyages, les enquêtes et les essais de comparaison internationale
tournées vers la France. Nos grands ancêtres, confrontés aux conséquences des
grands bouleversements révolutionnaires, aux mutations spectaculaires de la
société, à la difficulté, en France, de mettre en place un régime garantissant
à la fois l’ordre et la liberté, cherchaient, quand ils se rendaient à l’étranger,
à guetter des expériences profitables, mais aussi à saisir de l’extérieur la
clef d’une énigme, l’identité française. Ils cherchaient des exemples et des
contre-exemples, et cherchaient aussi à ramener dans leur bagage des plantes
dont ils pensaient qu’elles pourraient d’enraciner dans le terreau national.
Ils voulaient élargir leur espace d’expérience sans perdre de vue le souci de
leur pays. Guizot, Victor Cousin, Tocqueville avaient leur manière à eux d’être
Français, Européens et, comme on ne disait pas encore, citoyens du monde, quand
bien même certains de leurs aperçus nous semblent aujourd’hui schématiques ou
caricaturaux.
Aujourd’hui encore, nous n’en
avons pas fini de chercher, pris que nous sommes dans le courant de la
mondialisation et engagés que nous sommes dans l’aventure de la construction
européenne – car cela demeure une aventure -, le point d’équilibre entre le
souci de notre pays et le péril de l’étroitesse nationaliste. Et j’ai
personnellement l’impression d’être souvent coincé entre des souverainistes qui
regardent vers le passé et des modernisateurs béats qui oublient au passage
notre « cher et vieux pays », obsédés par le « mal français »
qu’Alain Peyrefitte stigmatisait en 1976 dans un essai célèbre.
Une délicieuse escapade d’une
grosse semaine en Estonie a fait rejouer ces vieilles interrogations. Affranchie
de la domination russe est enfin indépendante en 1920, l’Estonie, comme les
autres pays baltes et comme la Pologne, a été victime des accords secrets du
pacte germano-soviétique de 1939. Champ de bataille entre les Allemands et les
Russes de 1941 à 1944, elle a connu jusqu’en 1991 la domination soviétique. « L’occupation »,
tel est le mot qui désigne cette longue période. Les logements collectifs
isolés en pleine campagne, non loin de grands bâtiments d’exploitation en tôle,
sont les témoins kolkhoziens et dégradés de cette époque, avec les monuments à
la gloire de la lutte soviétique contre l’Allemagne nazie.
Partout, le patrimoine médiéval
est remis en valeur, et l’on trouve nombre de statues récentes des penseurs et
héros de l’indépendance estonienne depuis le XIXe siècle. Et bien souvent on
indique que l’Union européenne permet la mise en valeur des trésors du passé.
On est en pleine affirmation culturelle d’une nationalité, sur le modèle
quarante-huitard. De cette affirmation, sont exclus les 25% de Russes, mais
le plus frappant c’est que l’on voit à quel point l’ancrage dans l’OTAN et la
participation à l’Union européenne (depuis 2004, avec entrée dans la zone euro
en 2011) est vue là-bas comme la plus sûre garantie de l’indépendance
nationale.
Ce qui domine est un mélange de
libéralisme et d’affirmation nationale combinée à une forte gratitude vis-à-vis
de l’Union européenne et aux effets d’une vaccination durable contre la
démagogie. On trouve ainsi dans le Baltic
Times bien des choses qui donnent à réfléchir au lecteur français : on
y explique que l’héritage du communisme ne doit pas conduire à croire que tout
ce qui disfonctionne vient de l’Etat, les dirigeants expliquent au
fonctionnaire qu’ils vont tenter de revaloriser leur salaire mais qu’ils ne
faut pas s’attendre à des miracles, et le président social-démocrate IIves
affirme que l’Estonie, qui a beaucoup reçu de l’Europe, doit maintenant se préoccuper de ce qu’elle peut
lui apporter.
Tout n’est pas rose en Estonie,
bien sûr… mais face à ce mélange de sortie libérale du communisme, dans un pays
dont certaines villes faisaient partie de la Hanse au Moyen Age, et d’affirmation
d’une nationalité avec le soutien de l’Europe, au contact aussi de cette
impression que pour les Estoniens, l’avenir vaut mieux que le passé, je pensais
à mes amis, à mes collègues et à mes étudiants souverainistes et proches du
Front de gauche. Je me disais qu’alors que nous avons (et c’est heureux) tiré
moult leçons du cauchemar nazi, nous n’avons décidément pas tiré toutes les leçons
de l’effondrement du communisme. Nous continuons à opposer nation et
construction européenne quand il s’agit de les combiner, nous persistons à ne pas
voir que l’effondrement du communisme soviétique n’a pas été seulement une
formidable libération, la vraie reconquête des libertés démocratiques, mais
aussi, par-delà la chute des illusions mortifères et du mensonge
institutionnalisé, une formidable réouverture des possibles.
3 commentaires:
Bel article, qui nous rappelle que le sentiment européen se nourrit de plusieurs raisons (et pas seulement de commodités financières). Au final, il nous a peut être manqué une bonne dictature communiste pour être heureux en France ?
@Gilles : d'accord avec toi sur le sentiment européen, bien malmené ces derniers temps. Le fait que la France n'ait pas fait l'expérience du communisme est effectivement déterminant. Surtout, on n'a pas cherché à voir ce qui est en jeu dans l'échec du communisme, on en est resté à bonnes intentions / mauvais résultats, sans chercher le lien entre les deux ! La littérature universitaire là-dessus, pourtant abondante, n'a pas nourri une vraie réflexion dans les milieux militants ou plus largement intellectuels.
31Bonjour M. Grondeux,
doctorante en science politique à l'Université Montpellier I (laboratoire CEPEL CNRS), je réalise une thèse sur la blogosphère.
En acceptant de répondre à ce questionnaire (temps estimé : 15 min), vous apportez une aide précieuse à mes recherches.
Vos réponses seront traitées de façon confidentielle.
En vous remerciant,
Voici le lien vers le questionnaire :
https://docs.google.com/spreadsheet/viewform?fromEmail=true&formkey=dHZZSVdhWGxzZjZMbmluTXVWVkFGV0E6MQ
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