L’histoire politique est actuellement peu en vogue dans la
communauté historienne. Bien des facteurs y concourent.
Tout d’abord, elle semble très traditionnelle, parce que,
depuis Thucydide, le pouvoir a été au centre du discours historique. Quand on
lit L’histoire des Francs, de
Grégoire de Tours, on voit bien que s’y entremêlent des considérations très
générales tenant au cadre chrétien de l’Histoire, vu comme une histoire du
salut, et aussi comme une histoire où les « bons » sont récompensés
et les méchants punis, et un récit très politique, où l’on voit à quel point
l’évêque de Tours, héritier des élites gallo-romaines, juge de haut les actions
des monarques mérovingiens, suit pas à pas ruses et compromis, et s’attache à
l’idée que l’on peut les utiliser pour la « bonne » cause.
Déjà, on mesure que faire l’histoire du politique, c’est
faire une histoire orientée vers un « mieux », vers un idéal, et
suivre les méandres de manœuvres parfois peu édifiantes. Travailler à la
charnière de l’idéal et de la réalité, entre rêve et prosaïsme. Avoir la tête
dans la philosophie et les pieds dans l’intrigue. Cela ne gêne pas ceux pour
qui l’histoire est une discipline culturelle, et tourmente ceux qui rêvent d’en
faire une « science ». Une science qui ne se salirait pas les mains et trouverait dans ses procédures dominées sa propre justification.
Outre ce côté traditionnel, qui peut toujours la faire
verser dans l’idéologie ou dans le moralisme, l’histoire politique souffre d’être
une histoire de la réflexion, du calcul et de la décision, au milieu de
sciences humaines parfois marquées par un déterminisme primaire. Pour ceux qui
pensent que les structures socio-économique ou que la « culture »
nous déterminent, pour ceux qui en sont restés à une lecture simple du premier
Michel Foucault ou de Pierre Bourdieu, le politique n’est qu’une illusion, pas
un objet d’étude en soi. On pourrait être tenté par réaction d’écrire une
histoire politique « en l’air », faisant bon marché de toutes les
déterminations, de toutes les contraintes, qui serait une erreur jumelle,
quoiqu’inverse de la précédente.
Pourtant, l’histoire est un outil remarquable d’analyse
politique : le poids des situations, des héritages, le choc des projets et
de la réalité, la finitude de l’action humaine, la naissance des grandes
catastrophes et des belles réalisations, cela mérite d’être replacé dans la
profondeur du temporelle.
Toute cette curiosité de l’humain qui fait l’histoire, qui
se penche inlassablement sur les rapports complexes entre l’individu et la
collectivité, tout ce qui pousse à comprendre avant de juger – on sent bien que
cela peut nous mener à une perception moins sectaire, plus pluraliste, plus profonde
de notre vie politique.
À l’heure de la communication politique triomphante, je
crois que l’histoire politique a aussi une autre mission, celle d’être
démythificatrice. L’historien est là pour regarder derrière les slogans et les
effets d’image, précisément parce que l’histoire repose sur un souci constant
de distinguer le prouvé, le probable et l’hypothétique. De distinguer le fait
et l’interprétation. Et, finalement, le possible et l’impossible : cette
dernière distinction n’est-elle pas le meilleur des vaccins contre le démagogie ?
1 commentaire:
Pour faire écho à ces interrogations, il y a le très bon article d'Eric Anceau ("Pour une histoire politique totale de la France contemporaine") dans le dernier numéro d'Histoire, Economie et Société.
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