Grâce à la bienveillance d'une amie, je présente lundi 2 juillet, à l'ambassade de Corée du Sud, le paysage politique français à une délégation de responsables politiques sud-coréens. Je reproduis ici le texte de mon intervention : c'est amusant de devoir décrire, en termes simples, les caractéristiques de notre vie politique. On ne dit rien de vraiment nouveau, mais les paradoxes et les lignes de force apparaissent plus clairement.
Le paysage politique français est par certains côtés très
classique : une droite et une gauche qui, depuis 1981 alternent au
pouvoir. Tout au plus peut-on remarquer que cette alternance a été très
rapide : depuis 1981, toutes les majorités sortantes ont été battues aux
législatives, sauf en 2007. Cette alternance a par contre été très difficile
pour le Sénat, qui a été à droite de 1958 à 2011, et n’est à gauche que depuis
cette dernière année. Mais la France est clairement une démocratie à
alternance, une démocratie libérale.
Par contre, il y a des particularités, comme dans tous les
pays, de la vie politique française. La droite est marquée par une tradition
particulière, celle du gaullisme. A gauche, le parti socialiste, actuellement
au pouvoir depuis les dernières élections, a eu une histoire particulière, qui
l’a longtemps contraint à faire le grand écart entre son idéologie et son
action au gouvernement. Enfin, si les institutions favorisent la
bipolarisation, aucun des partis de gouvernement (le parti socialiste à gauche
depuis 1969-1971, l’UMP à droite depuis 2002), ne parvient à représenter
vraiment l’ensemble de la gauche ou l’ensemble de la droite.
Rappelons avant de développer ces points particuliers la
contrainte institutionnelle : nos institutions de la Cinquième République
remontent à 1958, mais en 1962, il y a eu une réforme très importante. Le
président de la République, d’abord élu par un collège de 80 000 grands
électeurs (donc au suffrage universel indirect) est depuis cette année 1962 élu
au suffrage universel direct.
L’élection présidentielle est très vite devenue l’élection
la plus importante aux yeux des Français. Cependant, au départ, le mandat
présidentiel était de 7 ans, alors que les députés sont élus pour 5 ans. En
1986 et en 1993, l’opposition avait gagné les élections et il y avait eu à
chaque fois une cohabitation de 2 ans : le premier ministre et le
gouvernement n’étaient pas du même « bord » que le président. En
1997, le président de droite, Jacques Chirac, avait dissous l’Assemblée
nationale et la gauche avait gagné. La cohabitation avait duré 5 ans. Au
départ, l’opinion avait apprécié le fait que gauche et droite travaillent
ensemble, mais rapidement, l’ambiance s’était dégradée. En 2000, les Français
ont approuvé par référendum la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans.
Les présidentielles précèdent de quelques semaines les législatives, et le
risque de cohabitation est moins important.
Deux grands partis de
gouvernement, l’UMP et le parti socialiste
Les socialistes ont d’abord été divisés, à la fin du XIXe
siècle, en petits groupes, et puis ils se sont unis en 1905 pour former la
SFIO, Section Française de l’Internationale Ouvrière, membre de la Seconde
internationale. En 1920, ce parti éclate pour donner deux partis : la SFIC
(Section Française de l’Internationale Communiste), qui devient le Parti
communiste, et un autre parti qui garde le nom de la SFIO, qui refuse de
rejoindre le camp communiste.
Officiellement, la SFIO, comme beaucoup de partis
socialistes avant le denier tiers du XXème siècle, reste un parti
révolutionnaire, où Marx reste une référence, et qui veut collectiviser
l’économie. Si les militants de la SFIO ne sont pas communistes, c’est qu’ils
sont attachés à la démocratie, et qu’ils pensent soit qu’on peut transformer
l’économie dans le cadre de la démocratie, soit que la révolution viendra
d’elle-même, plus tard, quand l’économie sera suffisamment développée. Le
principal homme politique de la SFIO, Léon Blum, en 1926, avait formulé une
distinction très subtile entre « l’exercice » et la
« conquête » du pouvoir. La SFIO peut exercer le pouvoir, si le
résultat des élections le lui permettent, mais si l’heure de la grande
transformation de la société n’est pas venue, elle se contentera de faire une
politique sociale sans remettre en question les bases du capitalisme, de
l’économie de marché. La « conquête du pouvoir », ce sera plus tard,
au moment où se produira la grande Révolution, pacifique ou non, qui changera
toute la société. La SFIO au pouvoir sera donc un parti qui fait des réformes
en faveur des ouvriers sans changer le système économique, la Révolution est
toujours là, mais dans un horizon lointain.
La SFIO va exercer le pouvoir à plusieurs reprises : en
1936-1937, et pendant quelques années de la Quatrième République (1946-1958).
Mais les socialistes n’aiment pas cela, et pensent toujours qu’ils risquent d’y
perdre leur âme. D’ailleurs, avec Guy Mollet (février 1956-1957) elle se
compromet dans la guerre d’Algérie. Marginalisé par le retour de Charles de
Gaulle en 1958, la SFIO est mourante en 1969. Elle est remplacée par un nouveau
parti, le Parti socialiste, celui qui est au pouvoir actuellement.
Un homme a permis à ce parti de devenir véritablement un
parti de gouvernement. Cet homme, c’est François Mitterrand. Il vient du
centre, et il a été candidat unique de la gauche aux élections présidentielles
de 1965 (les premières au suffrage universel direct) face à Charles de Gaulle.
En 1971, il rejoint le parti socialiste et en prend le contrôle au congrès
d’Épinay. Pour lui, le Parti socialiste doit viser à conquérir le pouvoir. S’il
parle encore de Révolution, s’il veut la « rupture avec le
capitalisme », il ne sépare pas cette idée de la victoire électorale et de
la conquête légale du pouvoir. Il faut unir la gauche, faire alliance avec les
communistes, remporter les présidentielles (ou les législatives, à défaut)
nationaliser les plus grandes entreprises, planifier l’économie, donner plus de
pouvoir aux syndicats, créer une société d’économie mixte où l’État dominera le
marché.
A partir de 1971 et du programme commun de la gauche signé
en 1972, les socialistes, qui sont dans l’opposition depuis les débuts de la
Cinquième République, ont bien un parti de gouvernement, mais ils n’en ont pas
encore une idéologie de parti de gouvernement. Alors que l’économie française
s’est ouverte après la Seconde guerre mondiale, ouverture accrue par la
construction européenne et le Marché commun mis en place après le Traité de
Rome de 1957, les socialistes, pour la plupart, pensent désormais qu’une
victoire électorale suffit pour transformer la société.
Quand François Mitterrand devient président de la République
en 1981, il y a beaucoup de réformes importantes, comme l’abolition de la peine
de mort ou la décentralisation (les départements et les régions sont désormais
gérées par des élus) mais les socialistes se heurtent à la réalité du pouvoir.
Ils comptaient sur les nationalisations pour changer le mode de fonctionnement
des entreprises, sur le plan pour relancer l’économie, sur la relance par la
consommation. La relance économique échoue, les entreprises nationalisées sont
dirigées comme les autres, la France dépend beaucoup de ses échanges
extérieurs, il faut lutter contre l’inflation, le commerce extérieur se dégrade,
les dépenses publiques (déjà) pèsent lourd : ils prennent en 1983 ce qu’on
a appelé le « tournant de la rigueur ». Ils découvrent qu’ils ne vont
pas rompre avec le capitalisme.
Ils ont prouvé qu’ils pouvaient exercer le pouvoir, mais
c’est aux dépends de beaucoup de leurs anciennes idées. Le parti socialiste
évolue idéologiquement, mais non pas, comme la social-démocratie allemande (qui
a changé son idéologie au congrès de Bad Godesberg de 1959) avant d’exercer le
pouvoir, mais après, sous la pression de la réalité.
La chute du mur de Berlin, en 1989, marque le début de
l’écroulement du communisme en Europe, en 1991, l’Union soviétique s’effondre.
Au parti socialiste, on songe même à abandonner l’adjectif de
« socialiste ». En 1990, la déclaration de principes du congrès de
Rennes reconnaît que toutes les libertés se tiennent, et qu’on ne peut donc
séparer la liberté économique des autres. Mais c’est véritablement en 2008,
alors que l’actuel président de la République, François Hollande, est premier
secrétaire du PS, qu’une nouvelle déclaration de principes du parti déclare que
son idéal social est désormais « l’économie sociale et écologique de
marché ».
Quand on compare les campagnes socialistes de 1981 et de
2012, on mesure le changement : on invoquait en 1981 le « peuple de
gauche », en 2012 la patrie et la République.
La droite française a elle aussi beaucoup évolué depuis les
débuts de la Cinquième République. Auparavant, on y trouvait essentiellement
les démocrates-chrétiens du MRP (Mouvement Républicain Populaire), parti de
centre droit, et la droite républicaine marquée par le libéralisme. Mais une
nouvelle force avait fait son apparition en 1947 avec le RPF (Rassemblement du
Peuple Français) : les gaullistes.
Le milieu d’origine de Charles de Gaulle est catholique et
monarchiste. Lui-même a été marqué dans sa jeunesse par des auteurs
nationalistes : le monarchiste Charles Maurras, les républicains Maurice
Barrès et Charles Péguy. Il ne croit pas
possible un retour de la monarchie et a retenu des deux derniers la volonté
d’un rassemblement national. Militaire, il a cherché en vain pendant
l’entre-deux-guerres à faire évoluer la doctrine stratégique de la France pour
la préparer au choc avec l’Allemagne, a rencontré beaucoup d’hommes politiques,
en a conclu qu’ils étaient en général médiocres, et cela a renforcé sa critique
d’une Troisième République jugée trop parlementaire.
De 1940 à la Libération, à la tête de la France Libre, il a
fédéré les résistants à l’occupation allemande. De 1944 à 1946, il est à la
tête de la coalition qui dirige la nation, mais en 1946, il a démissionné,
refusant l’emprise des « partis », les partis politiques qui, à ses
yeux, divisent la nation. Au printemps 1946, il a expliqué dans un discours
célèbre chez nous, le discours de Bayeux, la République qu’il voulait. C’est un
mélange entre un régime parlementaire et un régime présidentiel. Le président
de la République devrait être un grand personnage prestigieux, au-dessus des
partis, qui ne se contente pas d’être le gardien des institutions, mais donne
les grandes orientations nationales, rend les grands arbitrages, en travaillant
avec le premier ministre qui lui, représente la majorité parlementaire.
Un proche de de Gaulle, Michel Debré, son premier ministre de 1958 à 1962, a
explicité cela par une formule frappante : « dépolitiser l’essentiel
national ». Le président de la République doit incarner l’unité nationale
de manière active, comme un monarque en fait, qui ne serait pas qu’un monarque
comme au Royaume-Uni.
De Gaulle veut rassembler les Français autour de trois
axes :
-
L’unité nationale autour d’un État fort
-
Une politique extérieure de prestige
-
La modernisation pour le progrès économique et
social.
Mais il est difficile de se réclamer de l’unité nationale,
de vouloir rassembler, dépasser le clivage droite-gauche et de rassembler ses
partisans dans un parti. Quand, en 1947, le général de Gaulle avait fondé le
RPF (Rassemblement pour la France), il voulait que ses adhérents puissent en
même temps demeurer membres d’un autre
parti, sauf le parti communiste (la guerre froide commençait). Mais cela
n’avait pas fonctionné, et le RPF, qui a duré jusqu’en 1953, est devenu un
parti comme les autres.
Quand le général de Gaulle revient au pouvoir en 1958, et
fonde la Cinquième République, il faut bien rassembler ses partisans pour les
élections législatives : c’est la fondation de l’UNR, Union pour la
Nouvelle République, qui changera de nom plusieurs fois, mais vivra jusqu’en
1976.
Très tôt, on se rend compte que l’espoir d’un rassemblement
national tourne court : dès 1959, il n’y a plus de socialistes dans le
gouvernement du général de Gaulle. En 1962, les démocrates-chrétiens le
quittent à cause de ses réserves sur la construction européenne. L’élection du
président de la République au suffrage universel, qui se tient pour la première
fois en 1965, accentue et confirme cela : le général de Gaulle n’est élu
qu’au deuxième tour, face au candidat unique de la gauche, et en rassemblant
essentiellement des voix de droite.
C’est donc un paradoxe : malgré l’action du petit
groupe des « gaullistes de gauche », assez marginalisés, le général
de Gaulle, qui voulait dépasser le clivage droite-gauche qui n’aimait pas les
partis politiques, a donné naissance au parti politique le plus nombreux et le
plus organisé de la droite française.
Les gaullistes ont l’habitude de se rassembler derrière un
leader sans trop discuter, et la démocratie interne, dans le parti, est très
faible. Bien sûr, les gaullistes vont connaître des divisions, des rivalités,
mais ils se rassemblent toujours derrière leur chef. Quand, en 1976, Jacques
Chirac fonde le RPR, Rassemblement Pour la République, qui succède à l’ancien
parti gaulliste et vit jusqu’en 2002, rien ne change de ce point de vue :
son autorité sera parfois contestée, mais il gardera toujours un contrôle sur
le parti.
Le gaullisme a changé durant
cette période : Charles de Gaulle avait accepté le traité de Rome qui
fondait le Marché commun européen, mais il voulait une «Europe des
nations ». Jacques Chirac, en 1992, est favorable à la ratification du
traité de Maastricht, qui mène à la création de l’euro. Les gaullistes étaient
plutôt des dirigistes, qui, sans être socialistes, voulaient un État
modernisateur impliqué dans la conduite et la stimulation de l’économie :
ils deviennent plus libéraux à partir des années 1980. Ceux qui contestent ces
virages vont se retrouver dans la mouvance dite « souverainiste »,
mais ils ne sont jamais parvenus à fonder de grands partis politiques.
En 2002, au lieu du traditionnel
affrontement droite-gauche, le second tour de l’élection présidentielle a vu le
président sortant, Jacques Chirac affronter non pas son premier ministre
socialiste, Lionel Jospin, mais le leader de l’extrême-droite, Jean-Marie Le
Pen. Après une facile victoire, Jacques Chirac a cru l’heure venue de créer une
nouvelle force politique, qui rassemblerait les gaullistes, les centristes et
les libéraux-non gaulliste, l’UMP (Union pour la Majorité Présidentielle, puis
Union pour un Mouvement Populaire). Nous verrons que la tentative de
rassemblement des droites a échoué, mais il faut noter que les gaullistes sont
demeurés dominants dans ce mouvement : il était prévu d’y créer des
tendances qui n’ont jamais vu le jour.
En 2004, Nicolas Sarkozy s’est
emparé de l’UMP, et cela a été déterminant pour sa marche vers la
présidentielle. Aujourd’hui, après l’échec de sa réélection, ce mouvement
dominé par les gaullistes se trouve dans une situation inédite : il n’a
plus de leader incontesté : Jean-François Copé, qui ene st à la tête,
l’ancien premier ministre François Fillon et l’ancien ministre Xavier Bertrand
s’affrontent pour le leadership.
Parmi les forces de gouvernement,
il en est une qui a quasiment disparu : les centristes. Dans les années
1960, ceux-ci se sont divisés sur la question du soutien à apporter au général
de Gaulle. Un homme va les réunir dans une grande formation de centre
droit : Valéry Giscard d’Estaing. Venu de la droite républicaine, il a
longtemps été ministre des finances, sous de Gaulle et sous le successeur de
celui-ci, Georges Pompidou. Après la mort de ce dernier avant la fin de son
septennat, en 1974, il a été, avec l’appui de Jacques Chirac, élu premier
président non-gaulliste de la Cinquième République. Jacques Chirac est devenu
premier ministre, mais les deux hommes ne sont pas entendus, et le premier
ministre a démissionné en 1976. Pour contrer le RPR, VGE, qui avait cru pouvoir
se rallier durablement les gaullistes, crée en 1978 l’UDF (Union pour la
Démocratie Française). Elle rassemble des libéraux, d’anciens
démocrates-chrétiens, des radicaux. C’est plus une fédération qu’un parti.
L’UDF, parti de centre droit, ne
s’est jamais vraiment remise de la défaite de VGE en 1981, mais elle est restée
jusqu’en 2002 un indispensable partenaire des gaullistes. Un homme, François
Bayrou, a refusé que les centristes rejoignent l’UMP en 2002. Il a d’abord
maintenu une UDF diminuée, misant tout sur une éventuelle victoire à l’élection
présidentielle. Déjà candidat en 2002, il se représente aux élections de 2007.
Arrivé en troisième position au premier tour, il n’appelle pas à voter au
second pour Nicolas Sarkozy, provocant le départ de la plupart des élus du
mouvement qui fondent le Nouveau Centre.
Il poursuit le projet de la construction d’un centre indépendant de la
droite et de la gauche. En 2012, il ne donne pas de consigne de vote pour le
second tour, mais déclare qu’à titre personnel il votera pour le candidat
socialiste, François Hollande. Les élections législatives ne donnent que deux
députés au Modem.
Les centristes aujourd’hui sont
donc principalement partagés entre l’UMP, où ils constituent une minorité, le
Nouveau Centre, allié à l’UMP, dont l’audience est assez faible, et le Modem en
voie d’extinction. Ils n’ont pas réussi à trouver un candidat aux dernières
présidentielles : le radical Jean-Louis Borloo, issu de l’UMP, a renoncé à
poser sa candidature, Hervé Morin, du Nouveau Centre, a jeté l’éponge durant la
campagne du fait de ses faibles scores dans les sondages, et François Bayrou
n’a pas entraîné derrière lui l’ensemble des centristes. Il ne reste donc pas
grand-chose de ce qui fut, autrefois, l’UDF.
La résistance au bipartisme et les nouvelles forces politiques
Les institutions de la Cinquième
République poussent au rassemblement de la droite et de la gauche et mènent la
vie dure aux centristes. Le mode d’élection du président de la République et celui
des députés, qui est le scrutin d’arrondissement uninominal à deux tours (sauf
un essai de proportionnelle en 1986-1988) favorisent donc nettement le parti
socialiste et la droite gaulliste. On le voit bien aujourd’hui où le PS est
majoritaire dans toutes les instances nationales. Cependant, ni l’UMP ni le PS
n’ont réussi à rassembler l’ensemble de la droite et de la gauche.
En effet, le bipartisme se heurte
dans notre pays à une forte résistance. Si les partis de gouvernement acceptent
l’économie de marché, s’ils acceptent la construction européenne et la monnaie
unique, ils n’ont pas réussi à entraîner l’ensemble du pays dans ce choix. Nous
ne nous intéresserons plus ici à la tentative de François Bayrou, finalement
héritière de l’ambition première du gaullisme : rassembler la droite et la
gauche. Mais à ceux qui, à gauche et à droite, échappent aux grands partis.
À gauche, le Parti communiste a
profondément marqué la culture politique française. Il rassemble environ un
tiers des électeurs à la Libération. Il a une bonne implantation dans le monde
ouvrier, et contrôle jusque dans les années 1970 le principal syndicat ouvrier,
la CGT (Confédération Générale du Travail). Et puis, en France, une partie de
l’opinion est très attachée à l’idée d’une révolution qui amènerait une vraie
égalité, c’est un des souvenirs, avec les droits de l’homme, laissés par la
Révolution française. Il a connu un déclin avec la perte d’attraction du modèle
soviétique. A partir du milieu des années 1970, il est dominé par le Parti
socialiste, et son déclin s’accélère dans les années 1980. La participation au
gouvernement en 1981-1984 ne lui a pas profité.
Mais le parti communiste conserve
une forte implantation locale (en particulier dans la région parisienne) et des
militants. Par exemple, dans la dernière élection présidentielle, il s’est
rangé derrière un ancien socialiste, Jean-Luc Mélenchon. Le « parti de
gauche » que celui-ci a fondé en 2008 après son départ du parti socialiste
a constitué avec le Parti communiste le « Front de gauche ». Il est
anticapitaliste, mais se place sur le terrain légal. Par contre, il ne se
réclame plus de l’héritage de l’URSS.
Enfin, les années 1960 ont vu
apparaître en France, comme dans d’autres pays très développés économiquement,
une contestation de la « société de consommation ». Elle a donné lieu
d’un côté à un certain renouveau de l’extrême gauche, c’est-à-dire ceux qui
étaient plus à gauche que le parti communiste. Ils ont trouvé un leader
populaire aux élections de 2002 et surtout de 2007 en la personne d’Olivier
Besancenot, mais le parti ensuite lancé par celui-ci, le NPA (Nouveau Parti
Anticapitaliste) n’a pas rencontré de succès. De l’autre côté, on a vu surgir
dans les années 1970 et 1980 une nouvelle sensibilité, les écologistes, qui
veulent remettre en question le « système » en se plaçant surtout
dans la perspective de la défense de l’environnement. Les Verts ont été fondés
en 1984 et ils ont hésités entre deux stratégies : refuser de se situer
entre la droite et la gauche (Antoine Waechter) ou s’allier avec le parti
socialiste (Dominique Voynet). C’est la seconde qui l’a finalement emporté.
A droite, c’est le Front national
qui représente la principale menace pour les partis de gouvernement. Elle gêne
beaucoup plus l’UMP que les écologistes ou le Front de gauche ne sont en mesure
de gêner le PS, parce que l’alliance électorale avec lui ne semble pas
possible.
Le Front national est né en 1972
sous la férule de Jean-Marie Le Pen, dont la fille Marine dirige aujourd’hui le
parti et dont la petite-fille vient d’entrer à l’Assemblée nationale. C’est au
départ le rassemblement de groupuscules d’extrême droite nationalistes. Il commence
à gagner des électeurs dans les années 1980, en prenant position contre
l’immigration, contre l’insécurité et en critiquant la les partis de
gouvernement. Il inquiète beaucoup la majorité de l’électorat, beaucoup voient
alors en lui un parti « fasciste » et, en France, les souvenirs de
l’occupation allemande et de la période du régime de Vichy et de la
collaboration sont très vifs. Marine Le Pen, président depuis 2011, voudrait en
faire un parti de droite populiste, comme il en existe aux Pays-Bas, en
Autriche, en Suisse… Elle critique la politique migratoire, les élites, la
construction européenne et la mondialisation.
En conclusion, si on regroupe les
Français en oubliant la frontière entre droite et gauche, on pourrait dire
qu’environ 70 % des électeurs acceptent la mondialisation, la construction
européenne, l’économie de marché, et (globalement) les institutions. Et que
d’un autre côté, environ 30% des électeurs les remettent en question, soit
parce qu’ils veulent avant tout émettre un vote contestataire, soit parce qu’ils
veulent effectivement une transformation de la politique et de la société.
Si la frontière entre droite et
gauche, entre le PS et l’UMP n’est pas toujours aussi claire que le disent
leurs leaders, c’est parce que l’Etat-Providence existe en France depuis 1945.
La Sécurité sociale a été mise en place en 1945, théoriquement financée par les
cotisations des entreprises et des salariés, en fait, parce que le système est
déficitaire, financé en grande partie par l’impôt. Le PS et l’UMP sont en
désaccord sur les moyens de financer le système, sur la manière de le réformer,
pas sur son existence. Ils sont également d’accord sur l’euro et sur le fait
que la France doit rester dans l’Union européenne. Ils s’opposent sur les choix
budgétaires, sur le nombre de fonctionnaires, sur le fait d’augmenter les
recettes de l’Etat ou de réduire les dépenses. La gauche est un peu plus
dirigiste et la droite un peu plus libérale. La gauche insiste un peu plus sur
la réduction des inégalités, la droite sur la sécurité… mais tout cela est
plutôt, en fait, une question de dosage. Cela ne facilite pas les choix
politiques, et rend parfois difficile de mettre en place des réformes
courageuses, d’autant plus que les forces de contestation sont parfois vives
dans le pays. Mais est aussi la source d’une certaine stabilité.
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