Je reviens sur la question des ministres candidats aux
élections législatives. Il faut d’abord souligner que dans la logique des
institutions de la Cinquième République, ces candidatures paraissent
parfaitement absurdes. L’article 23 de la Constitution prévoit l’incompatibilité des fonctions de
ministre et de député : quand les électeurs votent pour un candidat
ministre, ils savent déjà que ce sera son suppléant qui siègera à l’Assemblée
nationale. Cela ne facilite pas la campagne du candidat, et, pire encore, cela
en déplace l’enjeu : le scrutin décidera du fait qu’il ou elle restera ou
non ministre.
Les législatives sont déjà handicapées par le système du
scrutin d’arrondissement, qui fait du député dans la pratique le représentant d’intérêts
locaux (il suffit de lire la littérature de campagne pour s’en convaincre)
autant que nationaux, alors même que le député doit représenter la nation. Je
respecte parfaitement les électeurs du Doubs, mais doivent-ils à eux seuls
décider si Pierre Moscovici, doit rester ou non ministre de l’Économie, des
Finances et du commerce extérieur ?
L’esprit gaullien des institutions de 1958 repose sur une
forte séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Il s’agissait
de rompre avec les régimes d’élus qu’étaient la Troisième et la Quatrième
République. On peut s’en réjouir ou le déplorer, mais il faut savoir respecter
la logique d’un système institutionnel, et le réformer si besoin est, ou en
changer franchement, sous peine de plonger rapidement dans la confusion.
C’est en théorie le premier ministre qui compose le
gouvernement, quand bien même il est manifeste, au moins depuis le septennat de
Valéry Giscard d’Estaing, commencé en 1974, que le président met largement la
main dans cette composition. La réforme de 1962 a déjà rendu nécessaire une
redéfinition pratique des rapports entre le président de la République, chef
effectif de la « majorité présidentielle » (expression de Georges
Pompidou), et le premier ministre, théorique chef et représentant de la
majorité parlementaire. Le quinquennat
adopté en 2000 y a contribué. Il est dommage d’ajouter à ces évolutions
nécessaires des pratiques inutiles.
C’est Georges Pompidou, le premier, qui a fait le choix,
dans une campagne difficile pour la majorité, en 1967, de jeter les ministres
dans la bataille législative, première entorse à la logique institutionnelle et
au projet gaullien, mis à mal il est vrai par le ballotage de 1965. C’était
comme une sorte de compensation, puisqu’en janvier 1966, formant un nouveau
gouvernement, Georges Pompidou n’avait pas demandé la confiance de l’Assemblée
nationale. Un peu comme si on jouait les électeurs contre les députés, en
jetant tout le poids du gouvernement dans la balance, en cherchant à susciter d’étranges
mini-référendums locaux.
Comme le rappelle David Valence (http://www.trop-libre.fr/paradoxa/quelque-chose-de-sarkozy),
l’idée qu’un ministre battu doit démissionner ne s’est cependant pas imposée
tout de suite. Par exemple, Maurice Couve de Murville, battu, est resté
ministre des Affaires Étrangères. Il est même devenu Premier ministre en
juillet 1968 ! Par contre, René Pleven, battu en 1973, n’a pu rester garde
des Sceaux. Tout cela se passe à droite, mais en 1988, Catherine Trautmann,
secrétaire d’Etat chargée des Personnes âgées et des Handicapés, cesse d’être
membre du gouvernement après sa défaite aux législatives qui ont suivi la
réélection de François Mitterrand. Elle ne sera restée en place qu’un mois et
demi, alors que René Pléven, au moment de sa démission de 1973, était ministre
de la Justice depuis 1969 !
C’est donc Catherine Trautmann qui fut la première victime
de cette sorte de nomination conditionnelle dont je peine toujours à saisir l’intérêt.
En 2007, Nicolas Sarkozy systématise le principe, qui
aboutit au départ du gouvernement d’Alain Juppé. Ici, la chose devient plus
grave : le ministre de l’Ecologie était un des rares hommes d’expérience
du gouvernement, et, ancien Premier ministre, un des rares qui aurait pu donner
de l’équilibre au gouvernement balloté par « l’hyper-présidence ». On
le vit bien lors de son retour au gouvernement en 2010 – sans d’ailleurs que de
nouvelles élections législatives générales aient eu lieu, et sans qu’ils soit
revenu par une élection partielle au Parlement.
Cette règle curieuse s’est imposée par son apparence
démocratique – mais elle ne procède pas d’une véritable réflexion sur nos
institutions ni d’un vrai souci de rééquilibrage.
2 commentaires:
Les législatives peinent à intéresser. Après des mois de campagne, les électeurs sont un peu lassés, les militants fatigués, les finances des partis parfois exsangues. Que pensez-vous de la proposition d'EELV de coupler présidentielles et législatives?
Ce n'est pas inintéressant mais je crains que cela n'achève de noyer les législatives dans les présidentielles et que cela ne pose de gros problèmes logistiques aux partis.
Enregistrer un commentaire