lundi 21 mai 2012

Les bons côtés de l'alternance


Il flotte encore dans l’air comme les lambeaux d’une atmosphère, celle de ces quelques semaines où les sensibilités, les susceptibilités, les exaspérations, les jugements à l’emporte-pièce se sont donnés libre carrière. Où les pronostics assurés des militants visaient tout autant à créer qu’à commenter l’événement. Où l’attente se faisait rageuse.

Nous sommes retombés dans le convenu, mais aussi dans une certaine tranquillité ; manifestement, l’opinion peine encore à se passionner pour les législatives. Ici où là, quelques piques encore : à droite, on peine à reconnaître la défaite, trop courte pour que tous se résignent, à gauche, on a du mal à se passer de Nicolas Sarkozy – mais ce ne sont au fond que des sensations résiduelles.

Une nouvelle équipe est en place. J’avoue avoir du mal à comprendre la règle, commune à la gauche, comme à la droite, qui veut qu’un ministre battu à une législative doive démissionner ; elle me paraît la survivance de la IIIe et de la IVe républiques, régimes d’élus. Une défaite, même courte, aurait donc le pouvoir de transformer quelqu’un qu’on a jugé compétent en personnage à fuir. On le comprend mieux quand le ministre a un bilan, mais là ? Je me souviens du départ précipité d’Alain Juppé en 2007, dans ces circonstances, qui n’a pas porté chance à Nicolas Sarkozy et a contribué à déséquilibrer le gouvernement.

J’ai un peu l’impression d’être en face, avec cette pratique, d’un fétiche parlementaire, destiné à compenser le rôle longtemps subordonné du Parlement dans notre régime. Est-il encore nécessaire alors que le Parlement, du fait de la réforme constitutionnelle de 2008, va pouvoir relever la tête ?

La campagne législative a peu de chance d’être passionnante : que peut dire d’autre le Parti socialiste que « donnez au candidat élu les moyens de gouverner ? » ? Que peut entonner l’UMP, sinon un soudain hymne aux contrepouvoirs ? Il me semble aujourd’hui que seul le scrutin proportionnel pourrait permettre de redonner un intérêt à ces législatives qui suivent de si près les présidentielles : aucune voix ne serait perdue, et un paysage politique s’inscrirait vraiment dans les institutions, au lieu de disparaître au soir du premier tour de l’élection déterminante de l’hôte de l’Élysée (quand bien même ce dernier n’y réside pas). Ne donnant aucune majorité absolue, il offrirait aussi au gouvernement une  marge de manoeuvre, et une possibilité pour les citoyens d'orienter davantage (quoiqu'indirectement) la politique de celui-ci, loin de l'ordinaire pratique du chèque en blanc.

Nous n’en sommes pas encore là. Bornons-nous à saluer la poursuite de l'avancée de la parité, le surgissement, peut-être provisoire au vu de l'étrange coutume sur laquelle je m'interrogeais tout à l'heure, de nouvelles têtes, le retour aux affaires de Laurent Fabius dont le troisième débat des primaires de 2006 avait montré qu'au delà de ses manœuvres "européennes", il avait une vraie maîtrise des relations internationales... mais dans cette attente, une certitude : les années qui viennent feront du bien à la droite et à la gauche.

La droite avait pu croire, remportant toutes les présidentielles de 1995 à 2007, restant dix ans au pouvoir de 2002 à 2012, ayant été, aux législatives de 2007, la seule majorité sortante reconduite depuis... 1981 (!) qu'elle avait une sorte de vocation naturelle à gouverner. Elle va devoir retourner vers ses électeurs, et prendre conscience que les problèmes idéologiques, que les gouvernants de longue date ont une tendance naturelle à voir comme secondaires, sont déterminants, et expliquent la plasticité suicidaire dont elle fait preuve depuis 2010.

La gauche s'était installée dans une posture qui évoquait celle des conservateurs des années 1880, à la fois effarouchés et choqués moralement par des évolutions qui lui échappent. Elle a grand besoin de retrouver l’ambiguïté du pouvoir, et de troquer les leçons de morale contre une prise limitée, mais authentique, sur la réalité. Les débats idéologiques qui la traversent, sur l'Europe, le rapport aux milieux populaires, le choix entre une politique de l'offre et de la demande, recuits jusque là en vase clos, vont trouver la dimension concrète qui leur manque.

Bien sûr il reste toujours la possibilité, peu probable au vu des triangulaires version 1997 qui s'annoncent, d'une très courte victoire de la gauche ou d'une défaite surprise. Nous plongerions alors dans un jeu complexe, et les clarifications réciproques seraient remises à plus tard.