mardi 6 mars 2012

Churchill et le volontarisme politique


Dans une libraire d’Edimbourg, je suis tombé sur une brève biographie de Churchil (Christopher Catherwood, His Finest Hour, London, Constable & Robinson Ltd, 2009), un personnage qui me fascine, comme il en fascine beaucoup d’autres, depuis longtemps. Je l’ai achetée par gourmandise, mais elle s’est révélée plus nourrissante que prévue.

Au fur et à mesure de ma lecture, je réfléchissais en parallèle sur une manière de prendre, d’écrire, de ressentir l’histoire dont nous avons beaucoup à apprendre et sur ce qui fait un « grand » politique à l’âge démocratique.

Les vieux mots ont parfois du bon : c’est une histoire sans cuistrerie. Ni souci d’être à tout prix original, ni peur de réexaminer de vieux problèmes, un souci continu d’élargir le point de vue, et surtout une discussion paisible des travaux des autres : ce qu’ils apportent, les points où le jugement de l’auteur diffèrent de ceux des autres sereinement exposés. Une narration pittoresque, concrète, humaine, entrecoupée d’une discussion courtoise. On a le sentiment d’être au coin du feu, en train de siroter un bon cognac, en évoquant des épisodes marquants et en discutant sereinement, dans un pluralisme assumé. C’est une histoire pleine de tact, où s’équilibrent admiration et critique, sympathie et distance. Une histoire rigoureuse, informée, mais délivrée du prurit de la course perdue d’avance avec les sciences exactes, une vraie discipline de culture, de formation personnelle, de réflexion méditative. Reflet aussi, je crois d’un enseignement universitaire qui donne toute sa place à l’échange et à la discussion.

Mais venons à Churchill : l’auteur nuance la thèse selon laquelle la vie publique de Winston Churchill, jusqu’à ce qu’il incarne l’héroïque résistance de l’Angleterre isolée face à l’Allemagne hiltlérienne, en 1940-1941, n’aurait été qu’une longue suite d’échecs. Il montre le soldat journaliste d’avant 1914, l’historien, le rejeton de l’aristocratie britannique, fils d’un homme tôt disparu dont la brève carrière politique a été brisée par une démission inopportune. Un homme résolu et indépendant, conservateur partisan du libre-échange, passant par le parti libéral, puis à nouveau conservateur en 1924, participant au grand cabinet dominé par Lloyd George avant la Première guerre mondiale.

Son intelligence hors de pair ne l’empêche pas – et cela est rassurant – de partager les erreurs de son milieu et de son temps. Ainsi quand, au milieu des années 1920, il rétablit la convertibilité-or de la livre, mesure dénoncée par Keynes.

Son originalité, sa capacité à défendre des vues minoritaires n’est pas toujours, contrairement à ce que l’on croit souvent dans la politique française, non plus la garantie du succès. Cet homme volontaire commet de grandes erreurs, aux conséquences parfois dramatique, et il est heureux qu’elles ne soient pas masquées dans une biographie qui, globalement, met en relief sa grandeur. La désastreuse initiative de l’offensive des Dardanelles, qui faillit briser sa carrière durant la Grande Guerre, l’opposition farouche de ce patriote intransigeant à tout évolution en Inde dans les années 1930, l’inutile, meurtrier et injustifiable bombardement de Dresde pendant la Seconde guerre mondiale. Christophe Catherwood, suivant le cheminement de la pensée de Churchill, montre admirablement à quel point, en politique, les fautes sont souvent aussi pensées, aussi délibérées,aussi « calculées » - et même parfois plus – que les succès.

Ancré dans la réalité britannique, d’une densité intellectuelle et culturelle considérable, original, obstiné, Churchill ne rencontre pas toujours une lucidité politique dont personne, décidément, n’a le monopole. Les erreurs d’un grand esprit, d’un grand politique sont bien les plus instructives. Ma is quand son analyse est juste, toutes ses qualités humaines jouent à plein : face à la montée d’Hitler dans les années 1930, face aux conséquences de la remilitarisation allemande de la Rhénanie en 1936, des accords de Munich, et quand il s’agit de catalyser les énergies du Royaume-Uni à l’heure du péril. Enfin, Churchill, américain par sa mère, perçoit avant bien de ses contemporains le rôle majeur des États-Unis et l’appui que ceux-ci peuvent représenter.

Il ne manque pas même à cette existence heureuse d’un grand dépressif, dont témoigne la publication récente, par sa fille, des lettres échangées avec son épouse, une dimension dramatique : cet amoureux de la grandeur britannique vécut la marginalisation relative du Royaume-Uni après 1945, qui ne parvient plus à peser dans les affaires du monde. Homme résolu, Churchill était comme condamné à mesurer les limites à long terme d’un volontarisme politique décisif dans le court terme.

2 commentaires:

Lucie Rigueur a dit…

Je vous écris ce que je vous avez dit de vive voix en cour magistral, mais de façon claire;ce qui me dérange c' est la façon dont vous dressez le portrait de Churchill,ce héros de la seconde guerre, qui s'est battu contre le nazisme certes. C'est trop élogieux car quand il s'agit de barrer la route au communisme(en Grèce),il n' hésite pas à s'allier avec ceux qui ont soutenu le nazisme, la royauté. Il applique ce que pas mal d'homme politique font, mes ennemis d' hier deviennent mes amis d'aujourd'hui, et mes amis d'hier deviennent mes ennemis d'aujoud'hui, que je dois combattre avecmes nouveaux amis.

Jérôme Grondeux a dit…

En fait le but de mon post est justement de montrer qu'un grand homme politique n'est pas un homme politique parfait, quelqu'un qui ne fait pas d'erreur ou ne se trompe jamais, mais quelqu'un qui à certains moments est capable d'être à la hauteur de la situation. Pour la Grèce, on peut quand même comprendre le tournant,non ? C'est plus accablant le moment où Churchill s'entend avec Staline en terme de zones d'influence.