Les fils de discussion qui se multiplient sur la toile depuis l'attentat contre les locaux de "Charlie-Hebdo" donne, à les parcourir, un sentiment étrange. On a l'impression de se retrouver face à trois strates différentes, qui affleurent ici où là mais possèdent une forte continuité.
La première strate, c'est l'attachement à la liberté d'expression. Il y a là une révolte qui se comprend facilement : les auteurs de l'attentat tentent de faire taire un organe de presse par l'usage de la force brutale. On ne va pas discuter, on intimide. Le refus de ce genre de procédé rallie aisément une majorité, et c'est heureux.
La seconde strate, c'est la question du respect de l'Islam, et plus généralement la question de l'attitude à avoir face aux religions. Peut-on ridiculiser les croyances de nombreux Français, qu'il s'agisse du catholicisme et de l'Islam ? Ici, la polémique internet est beaucoup plus âpre, et elle dérape facilement de part de d'autre. D'une part, on en vient vite à l'injonction d'un respect obligatoire (et si on ne s'y soumet pas, cela légitimerait d'une certaine manière la violence) et d'autre part, on voudrait ajouter un texte de loi spécifique sur la liberté du blasphème.
La troisième strate, c'est l'affrontement intercommunautaire pur et dur. Catholiques et musulmans jouent alors à savoir qui est le plus stigmatisé, qui réagit avec le plus de dignité... Les libres-penseurs, comme on aurait dit sous la IIIème République, estiment que les religions sont trop visibles. Ici, l'affaire "Charlie-Hebdo" devient purement et simplement un prétexte pour que les différentes familles spirituelles et philosophiques poursuivent leurs affrontements - d'ailleurs pas toujours dénués de sens.
Je crois que le problème est que l'on confond un problème lié à la loi et un problème lié aux mœurs. On pourrait reprendre ici l'idée de Montesquieu : ce qui régule notre vie publique, c'est à la fois la loi et les mœurs, ce qui relève du droit, et ce qui relève, en dernière analyse, de la "morale" ou de l'éthique. Plus un pays est libéral, et moins la loi mêle de réguler les mœurs.
La première strate concerne la loi. Ici, il faut être inflexible. Nulle action violente n'est tolérable contre une opinion, un dessin de presse, un article. C'est une des plus belles conquêtes de l'Etat de droit que les débats d'idées restent des débats d'idées. La loi prévoit d'ailleurs (quoi qu'on en pense) des possibilités de recours contre certains propos, rien n'empêche de les utiliser.
La seconde strate concerne les mœurs. Est-il bon ou utile de chercher à choquer ? Est-il bon ou utile de faire des amalgames ? L'humour a-t-il une valeur absolue, qui permet tout ? Est-ce qu'on s'attaque aux faibles ou aux forts quand on tourne en dérision telle ou telle religion ? Ces questions sont bien sûr particulièrement vives quand il s'agit de Charlie-Hebdo, qui "fait dans la provocation". La provocation est-elle ou nous responsable de la violence qu'elle suscite ? La cherche-t-elle pour se légitimer ? La loi ne fournit pas, et c'est heureux, de réponse à ces questions, et si elle cherchait à le faire, nous ne serions plus dans une démocratie libérale.
La troisième strate renvoie à ce qu'on appelle le "communautarisme". En France, le terme est, somme toute, une insulte. Dans le monde anglo-saxon, le communautarisme est un courant de philosophie politique, une sorte d'extension du libéralisme aux communautés, qui devraient être collectivement respectées, et dont le principal souci du législateur serait d'assurer leur harmonieuse coexistence. Ce communautarisme se heurte à plusieurs difficultés : les communautés veulent-elles coexister ? La valorisation des communautés, n'est-ce pas la renonciation à la protection de l'individu ? Enfin, la cohésion de la communauté nationale n'est-elle pas menacée par le communautarisme ?
Je crois que si l'on ne distingue pas ces trois strates, le débat devient toxique et dérape facilement. Comme si nous n'avions le choix qu'entre l'approbation inconditionnelle de la vision de l'Islam (et des religions) diffusée par Charlie-Hebdo et la légitimation honteuse du fanatisme, présenté comme la réaction de pauvres victimes innocentes. Comme si notre vision de ce que devrait être le débat sur les religions, ou notre vision des religions, devait avoir force de loi.
La première strate, c'est l'attachement à la liberté d'expression. Il y a là une révolte qui se comprend facilement : les auteurs de l'attentat tentent de faire taire un organe de presse par l'usage de la force brutale. On ne va pas discuter, on intimide. Le refus de ce genre de procédé rallie aisément une majorité, et c'est heureux.
La seconde strate, c'est la question du respect de l'Islam, et plus généralement la question de l'attitude à avoir face aux religions. Peut-on ridiculiser les croyances de nombreux Français, qu'il s'agisse du catholicisme et de l'Islam ? Ici, la polémique internet est beaucoup plus âpre, et elle dérape facilement de part de d'autre. D'une part, on en vient vite à l'injonction d'un respect obligatoire (et si on ne s'y soumet pas, cela légitimerait d'une certaine manière la violence) et d'autre part, on voudrait ajouter un texte de loi spécifique sur la liberté du blasphème.
La troisième strate, c'est l'affrontement intercommunautaire pur et dur. Catholiques et musulmans jouent alors à savoir qui est le plus stigmatisé, qui réagit avec le plus de dignité... Les libres-penseurs, comme on aurait dit sous la IIIème République, estiment que les religions sont trop visibles. Ici, l'affaire "Charlie-Hebdo" devient purement et simplement un prétexte pour que les différentes familles spirituelles et philosophiques poursuivent leurs affrontements - d'ailleurs pas toujours dénués de sens.
Je crois que le problème est que l'on confond un problème lié à la loi et un problème lié aux mœurs. On pourrait reprendre ici l'idée de Montesquieu : ce qui régule notre vie publique, c'est à la fois la loi et les mœurs, ce qui relève du droit, et ce qui relève, en dernière analyse, de la "morale" ou de l'éthique. Plus un pays est libéral, et moins la loi mêle de réguler les mœurs.
La première strate concerne la loi. Ici, il faut être inflexible. Nulle action violente n'est tolérable contre une opinion, un dessin de presse, un article. C'est une des plus belles conquêtes de l'Etat de droit que les débats d'idées restent des débats d'idées. La loi prévoit d'ailleurs (quoi qu'on en pense) des possibilités de recours contre certains propos, rien n'empêche de les utiliser.
La seconde strate concerne les mœurs. Est-il bon ou utile de chercher à choquer ? Est-il bon ou utile de faire des amalgames ? L'humour a-t-il une valeur absolue, qui permet tout ? Est-ce qu'on s'attaque aux faibles ou aux forts quand on tourne en dérision telle ou telle religion ? Ces questions sont bien sûr particulièrement vives quand il s'agit de Charlie-Hebdo, qui "fait dans la provocation". La provocation est-elle ou nous responsable de la violence qu'elle suscite ? La cherche-t-elle pour se légitimer ? La loi ne fournit pas, et c'est heureux, de réponse à ces questions, et si elle cherchait à le faire, nous ne serions plus dans une démocratie libérale.
La troisième strate renvoie à ce qu'on appelle le "communautarisme". En France, le terme est, somme toute, une insulte. Dans le monde anglo-saxon, le communautarisme est un courant de philosophie politique, une sorte d'extension du libéralisme aux communautés, qui devraient être collectivement respectées, et dont le principal souci du législateur serait d'assurer leur harmonieuse coexistence. Ce communautarisme se heurte à plusieurs difficultés : les communautés veulent-elles coexister ? La valorisation des communautés, n'est-ce pas la renonciation à la protection de l'individu ? Enfin, la cohésion de la communauté nationale n'est-elle pas menacée par le communautarisme ?
Je crois que si l'on ne distingue pas ces trois strates, le débat devient toxique et dérape facilement. Comme si nous n'avions le choix qu'entre l'approbation inconditionnelle de la vision de l'Islam (et des religions) diffusée par Charlie-Hebdo et la légitimation honteuse du fanatisme, présenté comme la réaction de pauvres victimes innocentes. Comme si notre vision de ce que devrait être le débat sur les religions, ou notre vision des religions, devait avoir force de loi.
6 commentaires:
je ne sais plus qui disait qu'on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde... A la provocation de Charlie Hebdo - qui devait s'attendre à une réaction - répond la violence imbécile... et chacun de revendiquer la "liberté" et la "démocratie"... vieux dialogue des extrêmes...
oui, et assez affligeant dans sa limitation. Ce qui me déplait en particulier, c'est l'impression qu'on s'attaque aux faibles d'ici et aux forts qui sont loin. La caricature est certes oppositionnelle, mais il est peu fréquent qu'elle prenne vraiment à rebours l'opinion majoritaire. Je trouve que parfois, la provocation est la pointe extrême de la servilité. Bon ça ne justifie pas la réaction d'en face, mais on a l'impression d'un jeu qui plait : la provocation veut souvent sa répression pour se prouver qu'elle est vraiment provocation.
Pour la citation, Desproges, et souvent mal cité d'ailleurs.
Extraits du réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen:
"S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, s'il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s'il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout."
"Deuxième question : peut-on rire avec tout le monde ? C'est dur… Personnellement, il m'arrive de renâcler à l'idée d'inciter mes zygomatiques à la tétanisation crispée. C'est quelquefois au-dessus de mes forces, dans certains environnements humains : la compagnie d'un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d'un terroriste hystérique, je pouffe à peine. Et la présence à mes côtés d'un militant d'extrême droite assombrit couramment la jovialité monacale de cette mine réjouie."
"Je trouve que parfois, la provocation est la pointe extrême de la servilité" : c'est très juste, cela. Je trouve souvent, par ailleurs, bien des "humoristes" provocateurs parfaitement conformistes. Même quand ils sont d'un extrême, ils sont souvent d'un extrémisme conformiste. Ce qui donne des propos provocateurs réducteurs, jouant délibérément le feu avec la quasi-certitude de futures interprétations et réactions imbéciles, voire, criminelles. Et au final, confusion des problèmes. Tout cela n'est pas nouveau et toujours aussi navrant.
Des photos montages ont été publiés affichant le pape embrassant Benetton directement réprimandées par le Vatican. Je trouve que l'humour sur les religions a deux vitesses depuis le 11 septembre. A mon avis, il corrèle assez bien avec l'islamophobie. J'ai une question J. Grondeux, est-ce que le christianisme a subit à certaine période une telle provocation ? Plus précisément, est-ce que des caricatures du Christ par exemple ont-déjà été faites par des journalistes ?
Je pense que pour le christianisme le mouvement libre penseur étudié par Jacqueline Lalouette a fait ce genre de choses. La différence c'est que l'adversaire était de force égale au XIXe siècle pour les libres penseurs. J'avoue ne pas avoir le culte de la provocation, qui me semble le degré zéro du débat, mais c'est personnel. On a tellement l'impression qu'on enclenche un jeu où des minorités fanatiques se font plaisir... J'ajoute que mon ami Dominique Avon a dirigé un ouvrage sur les religions et les cariacatures.
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