En 1844, Max Stirner publiait L’Unique et sa propriété. L’ouvrage souffre d’avoir été porté par une tradition politique qui a abouti à une impasse parfois sanglante, celle de l’anarchie. À première vue, la personne qui cherche à faire une théorie de la démocratie devrait le laisser de côté. Mais c’est maintenant, après l’effondrement des doctrines révolutionnaires, qu’il faut étudier et tout simplement lire ce genre d’ouvrage : on ne les lit plus désormais pour les solutions qu’ils proposent ou qu’ils esquissent, on les lit pour leur manière de poser radicalement des problèmes, on les lit pour être bousculé. Je le lis en particulier parce que je suis persuadé que ceux qui critiquaient le régime démocratique alors qu’il commençait à se mettre en place ont eu souvent une grande part de lucidité. Ce n’est pas forcément parce qu’ils comprenaient mal leur temps qu’ils n’ont pas réussi à proposer d’alternative politique crédible : révolutionnaires et conservateurs avaient parfois la lucidité de la haine. Vous savez, ces choses de nous que nos amis ne nous diront jamais, que nous préférons ignorer et que nos ennemis voient tout de suite. Les vérités, parfois que font surgir nos amis quand ils expriment, ou parfois suggèrent juste, un désaccord avec nous.
Marqué par la critique antireligieuse de Feuerbach, Stirner voulait la dépasser. Il pensait que l’homme passait son temps à inventer des abstractions dont il était ensuite le prisonnier. Et selon lui, l’ « esprit-prêtre » n’avait pas dit son dernier mot avec la révolution libérale et démocratique. On allait désormais adorer l’Homme en général, un modèle d’humanité regroupant ce que tous les hommes ont en commun, une image idéalisée de l’humanité à laquelle tous devraient se conformer. D’une certaine manière, il retrouvait les critiques que le libéralisme conservateur d’Edmund Burke adressait à la déclaration des droits de l’homme de 1789. Mais alors que Burke défend la tradition, les héritages culturels, comme fondement d’une liberté réelle mais limitée, Stirner défend l’épanouissement intégral de l’individu dans son unicité, uniquement soucieux de développement de son être, égoïste assumé pouvant ainsi nouer de vraies relations avec les autres sans brider sa liberté. Cet anarchiste profond, assumé, met en lumière un fait considérable : la démocratie libérale n’est pas strictement fondée sur les individus, comme bien après lui et sur d’autres bases, Milon Friedman le rêvait (cependant, Stirner a publié des traductions commentées de Jean-Baptiste Say). Elle postule une idée de l’Homme, voire même une vocation de l’Homme, quelque chose qui doit être assez général pour pouvoir s’appliquer largement. Stirner voit bien aussi quelque chose : c’est que la politique moderne est incapable d’assumer toutes les dimensions de l’individu, sous peine de le réduire à un pauvre être schématique. Nécessité et limites d’une idée de l’homme…
Stirner refusait cette fatalité, en partie parce qu’il estimait que tout discours sur l’homme en général était artificiel. Son antispiritualisme lui faisait associer l’individu à son organisme, à son corps unique. Sa haine des idées générales laissait peut-être la voie à une valorisation de la libre relation entre des individus différents… mais cette libre relation est à cent lieues de la politique. Nos ami(e)s, nos amours peuvent parler avec nous de politique en tête à tête : mais on regarde alors la cité comme d’un belvédère, et on construit surtout de la complicité, parce qu’on cherche surtout par là à découvrir l’autre dans ce qu’il a d’unique, son jugement, son regard sur les choses, sa sensibilité. En parlant alors ainsi de politique, on n’en fait pas : on s’en repose.
Marqué par la critique antireligieuse de Feuerbach, Stirner voulait la dépasser. Il pensait que l’homme passait son temps à inventer des abstractions dont il était ensuite le prisonnier. Et selon lui, l’ « esprit-prêtre » n’avait pas dit son dernier mot avec la révolution libérale et démocratique. On allait désormais adorer l’Homme en général, un modèle d’humanité regroupant ce que tous les hommes ont en commun, une image idéalisée de l’humanité à laquelle tous devraient se conformer. D’une certaine manière, il retrouvait les critiques que le libéralisme conservateur d’Edmund Burke adressait à la déclaration des droits de l’homme de 1789. Mais alors que Burke défend la tradition, les héritages culturels, comme fondement d’une liberté réelle mais limitée, Stirner défend l’épanouissement intégral de l’individu dans son unicité, uniquement soucieux de développement de son être, égoïste assumé pouvant ainsi nouer de vraies relations avec les autres sans brider sa liberté. Cet anarchiste profond, assumé, met en lumière un fait considérable : la démocratie libérale n’est pas strictement fondée sur les individus, comme bien après lui et sur d’autres bases, Milon Friedman le rêvait (cependant, Stirner a publié des traductions commentées de Jean-Baptiste Say). Elle postule une idée de l’Homme, voire même une vocation de l’Homme, quelque chose qui doit être assez général pour pouvoir s’appliquer largement. Stirner voit bien aussi quelque chose : c’est que la politique moderne est incapable d’assumer toutes les dimensions de l’individu, sous peine de le réduire à un pauvre être schématique. Nécessité et limites d’une idée de l’homme…
Stirner refusait cette fatalité, en partie parce qu’il estimait que tout discours sur l’homme en général était artificiel. Son antispiritualisme lui faisait associer l’individu à son organisme, à son corps unique. Sa haine des idées générales laissait peut-être la voie à une valorisation de la libre relation entre des individus différents… mais cette libre relation est à cent lieues de la politique. Nos ami(e)s, nos amours peuvent parler avec nous de politique en tête à tête : mais on regarde alors la cité comme d’un belvédère, et on construit surtout de la complicité, parce qu’on cherche surtout par là à découvrir l’autre dans ce qu’il a d’unique, son jugement, son regard sur les choses, sa sensibilité. En parlant alors ainsi de politique, on n’en fait pas : on s’en repose.
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