Le traité européen de stabilité est ratifié depuis plusieurs
jours, et cela est sans doute beaucoup plus important que l’octroi à l’Europe
du prix Nobel de la paix. Après tous les débats et retournements que l’adoption éventuelle du traité :
suscitait depuis quelques mois, on est presque surpris de constater que selon
un sondage BVA publié le 1er octobre par le Parisien
et effectué les 27 et 28 septembre, 64% des Français y seraient favorables -
qu'on compterait même 72% de nos compatriotes parmi les partisans de la règle
d'or qui limite un éventuel déficit budgétaire.
Pourtant, les résultats de ce sondage paraissent logiques.
On peut considérer que les deux tiers de l'électorat, comme on pouvait le
constater en suivant la campagne présidentielle, acceptent globalement les
règles de la vie économique, considérant qu’un État doit être bien géré et que
l’endettement excessif est un problème.
D’où vient l’impression qu’il s’agit d’une majorité
silencieuse ? Le traité a trouvé finalement peu d’avocats en France,
qui auraient pu y voir une étape décisive dans la résolution d’une question
cruciale : comment doter la zone euro des outils d’élaboration d’une
politique économique compatible avec l’existence d’une monnaie unique ? La
discipline budgétaire ne fait pas tout, certes, mais comment envisager de
concilier l’exigence d’une monnaie unique avec une liberté budgétaire
inconditionnelle des États membres ?
Autant de constats simples et peu excitants. Le débat, pour
les partisans de la construction européenne, se joue pourtant dans ce cadre,
dans la quête d’un équilibre entre les exigences d’une saine gestion, le
maintien d’une politique d’investissement tournée vers l’avenir, et les
exigences de la solidarité sociale. Ce cadre contraignant est, à bien y regarder,
celui de la politique contemporaine depuis la fin du XIXe siècle. La
construction européenne conduit à dégager et formaliser cette contrainte à
l’intérieur de laquelle s’exerce l’action des pouvoirs publics. Il le fait
d’ailleurs avec une souplesse (possibilité de porter le déficit à 1 %, prise en
compte des situations exceptionnelles, agenda plus souple pour les pays dont la
dette est supérieure à 60 % du PIB depuis 2011) que l’on sait peu – faute que
les « Européens » aient été audibles.
Depuis une trentaine d’années en France, la croissance de la
dépense publique a servi soit à éviter de faire des réformes d’adaptation, soit
à « faire passer » les réformes que l’on parvenait à faire, soit à
financer le versant démagogique des campagnes électorales. Il est amusant de
relire aujourd’hui les critiques que l’on adressait au livre de Nicolas
Baverez, La France qui tombe, paru en
2003. Au moins sur un point, son diagnostic était juste : nous avons
progressivement consacré la dépense publique de moins au moins aux
investissements d’avenir et de plus en plus au maintien de l’existant. Sans
réduire la voilure, l’État est devenu ainsi de moins en moins efficace pour
accomplir les missions qu’il se donnait. Quand on ne réforme pas l’outil, il
n’est plus adapté – on rougit de devoir rappeler de tels truismes.
Encore un : si la France veut pouvoir donner une
orientation plus volontariste à la politique européenne, cela ne peut commencer
pour elle par un signal de laxisme budgétaire chronique envoyé à ses
partenaires.
Oui, les partisans du traité avaient bien des arguments à
développer. Mais ils ne sont pas enthousiasmants et nécessitent un certain
courage. Les élus, et plus généralement les gouvernants, et plus généralement
encore les commentateurs, sont à la charnière entre les requêtes multiformes de
l’opinion et la réalité comme contrainte. Ils sont de ce point de vue des
médiateurs. Cela, ils doivent l’assumer – et le refus de le faire devient
parfois comique, quand par exemple on fait de la rigueur, parce qu’il le faut
bien, mais qu’on ne veut pas le dire…
Les opposants au traité restent largement, malgré quelques
défections et ralliements, le front du refus du référendum de 2005. Et les
partisans de la solution miracle, tout comme les patients qui ratent leur psychanalyse
en cherchant la clef de leurs
problèmes. Donnez-nous de la démocratie directe, et tout ira bien. Rendez-nous
le franc, refusez toute limitation de la souveraineté nationale dans le domaine
budgétaire, et tout ira bien. Faites du respect de l’environnement l’alpha et
l’oméga de la politique, et tout ira bien. Laissez-nous dépenser l’argent que
le pays n’a pas, et tout ira bien. Ils sont au maximum de leur efficacité dans
un rôle : celui de porte-voix des difficultés et des frustrations du pays.
En théorie, cela pourrait les mener au pinacle.
Pourtant, ils n’entraînent pas la majorité de leurs concitoyens. D’où un
rêve plus ou moins conscient de grande catastrophe. Que l’euro s’écroule, ils
exulteront. Mais ce ne sont pas les problèmes du présent qu’ils cherchent
vraiment à régler. Ils se croient en avance d’une apocalypse – je crains qu’ils
ne soient plutôt en retard d’une guerre.
2 commentaires:
Je crois que dans votre dernier paragraphe vous pointez quelque chose d'essentiel, celui d'une pensée apocalyptique qui est bien là mais qui ne dit jamais son nom. Et sous l'épaisse couche d'un discours démagogique maquillé en retour à un âge d'or d'avant l'euro (on semble avoir oublié comme par enchantement les années 73-2002) il y a une certaine forme d'autosatisfaction teintée, je pense, d'une certaine arrogance, dans l'espoir futur d'un effondrement qui ne pourrait que valider, dans un mouvement rétrograde du vrai, leurs hypothèses...L'idée d'un abandon de l'euro, si elle semble séduire de plus en plus à droite comme à gauche est plus idéologique qu'autre chose, elle est une négation de l'histoire (et encore, il faudrait une fois pour toute la séparer de l'idée de progrès) doublée d'une (très) mauvaise évaluation des conséquences possibles. En fin de compte, thuriféraires comme fossoyeurs, c'est bien l'apocalypse qui semble guetter, quoiqu'il arrive. Et tant que le débat public ne pourra pas articuler de "troisième voie" (vouée à l'échec elle aussi ?) envers ce faux dualisme apocalyptique, la compréhension réelle des enjeux qui se posent ne pourra pas progresser...(il n'est qu'à lire l'interview donnée par Emmanuel Todd à Marianne ces jours derniers pour se conforter dans l'idée que les intellectuels ne vendent plus que des slogans communicationnels que du recul nécessaire à l'exercice de la pensée...http://www.marianne.net/Emmanuel-Todd-Dans-cinq-ans-Hollande-sera-un-geant-ou-un-nain_a223466.html)
@Thomas : je suis comme vous inquiet de cette formidable régression intellectuelle dont le défaut principal est l'aspect réactionnaire qui interdit de regarder les évolutions en lançant sur elle un regard critique au bon sens du terme, triant le bon et le mauvais, sachant où il faut redresser et où il faut simplement accompagner. Derrière, il y a un pessimisme confortable : les choses vont mal de toute façon, donc je peux me contenter de lancer des anathèmes de mon fauteuil en poursuivant ma carrière !
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