dimanche 1 novembre 2009

Philosophie politique sur une digue normande


Sur la digue de Colleville-Montgomery à Ouistreham. La douceur de ce samedi sature l’air, la Manche même se fait discrète, tant le vent est léger. On marche lentement, mains dans les poches ou bras ballants. Une voix derrière moi, claire et bien posée, celle d’un homme d’environ 65 ans, me tire de cette trêve et me replonge en philosophie politique.
« …un roi, pas un président, un roi. C’est ça qu’il faudrait. Un roi, il est là pour toute sa vie, pas pour 5 ou 6 ans. Alors, il peut faire des choses. Et celui qu’est pas d’accord, on l’envoie casser des cailloux. »
Son compagnon de promenade ne répond rien. Puis ils se mettent à parler d’autre chose. Eux aussi sont tranquilles et détendus.
J’ai beaucoup de goût pour ces moments où l’on saisit une idée dans son existence naturelle, comme on verrait passer un petit animal sauvage dans les bois. Parfois, on peine à identifier le reflet roux qui a piétiné les bordures de notre champ de vision ; cet homme n’est sans doute pas monarchiste. Il avancerait plus masqué, il n’aurait pas cet air tranquille de celui qui énonce un principe dont il est sûr par avance qu’il ne connaîtra jamais le moindre début d’application. Ce n’est pas la déduction d’un système, cette phrase. C’est l’expression toute simple, immédiate, d’un fantasme politique. La bestiole que j’ai vue (ou plutôt entendue) passer figure dans le bestiaire de notre inconscient politique. On pourrait l’appeler le mythe de l’autocratie heureuse.
Comme tous les mythes politiques, celui-ci repose sur un paralogisme. La fausse évidence selon laquelle les échecs du pouvoir ne sont dus qu’à la bêtise ou à la fourberie de ceux qui s’opposent à lui. Vienne le pouvoir tout puissant, qui saura n’écouter personne, qui réprime même l’opposition s’il le faut ! Ce mythe prospère sur le terreau de notre impatience et de notre orgueil : nous seuls savons ce qui est bon pour le pays. Périssent nos opposants, s’effacent nos alliés incertains. Vienne le roi-philosophe, le despote éclairé ; les problèmes sont simples, et admettent une solution univoque, la même qui s’imposerait à tous les esprits intelligents et de bonne fois. En face, l’éternelle coalition des fourbes et des imbéciles, qui méritent bien de « casser des cailloux ».
Mon promeneur en fournissait une vision caricaturale. Il en est de plus soft : les fameux « problèmes de communication » qu’on préfère invoquer plutôt que d’avouer que l’on a proposé une mesure absurde ou mal goupillée, et de présupposer qu’au moins sur quelques points les opposants puissent dire des choses justes. Si la communication était parfaite, l’intelligence de la mesure apparaîtrait de manière tellement évidente, que seuls les fripons et les imbéciles pourraient s’y opposer, et seraient réduits à l’impuissance par l’adhésion de la masse de l’opinion. Ce n’est plus cette fois le monopole autocratique du pouvoir que l’on revendique, mais le monopole autocratique de la Raison.
L’adhésion aux procédures démocratiques libérales, à un système politique hérissé de contre-pouvoirs, va plus loin qu’une résignation, toujours partielle et menacée, au fait qu’il faudrait dans les formes ménager les fourbes et les imbéciles. Si c’était le cas, une bonne politique de communication y suffirait, qui se verrait investie du rôle magique que mon promeneur normand attribuait à la répression politique.
Elle suppose que nous ne sommes pas persuadés de détenir à nous seuls la recette miracle, et qu’en rendant une mesure la plus acceptable possible, nous avons aussi des chances de l’améliorer. C’est le principe de la décision négociée. Mais nous avons sous la Cinquième République adopté progressivement une autre manière de tourner ce principe : lors de la phase d’élaboration d’une mesure, au fur et à mesure des conciliabules, du travail des commissions et des cabinets, de l’intégration des critiques, toutes les atténuations sont faites au préalable. Ceux qui élaborent la mesure essaient ainsi de garder la main sur tout, de présenter une mouture finale qui serait incontestable. Le débat ne se fait que dans les officines. Le résultat est souvent piteux : à force de se vouloir d’avance incontestable, on ne propose au fond plus rien. Il vaut mieux une ferme mesure, un peu atténuée ou corrigée lors du débat, que ces créatures hybrides que les ministères finissent par proposer, où des demi-mesures sont dans leur structure même, illisible, déjà faites pour ne rien déranger.
Quand le Sénat se fait entendre, il porte une requête bien belle, qui ne plairait pas à celle de mon promeneur normand : celle d’un travail public, mené par des élus (certes au suffrage indirect) de correction et d’amélioration des mesures prises. Ainsi en va-t-il des amendements, dont il est heureux que l’usage ait été discipliné et dont il est souhaitable que la portée soit plus grande.
Le déficit de travail collectif lisible dans la vie politique n’est pas le seul déterminant de notre immobilisme ou de l’atonie de notre vie politique qui ne paraît s’animer qu’au moment de choisir un monarque. Mais il est tout de même amusant de voir surgir des pratiques compensatoires ; on jette au bon peuple, de temps en temps, un « grand débat » qui ne coûte rien. Passons sur les multiples « états généraux » de ceci ou de cela, lancés par des pouvoirs qui semblent ignorer que la dernière fois qu’un pouvoir a convoqué de vrais états généraux, cela s’est mal fini pour lui. Évoquons simplement le projet Besson de grand débat sur « l’identité nationale », sur lequel je m’exprimerai dans un prochain post.

1 commentaire:

Gambetti a dit…

non, ce qu'il nous faudrait, c'est un président de la république !