Léon Blum écrivait dans son ouvrage À l’échelle humaine, publié en 1945 et rédigé en 1941 : « Si le parlementarisme a réussi en Angleterre et échoué en France, c'est essentiellement parce qu'il existe en Angleterre une ancienne et forte organisation de partis et que - hors de rares exceptions qui confirment la règle - on n'a jamais rien pu créer de pareil en France depuis un siècle et demi. » Il visait bien sûr les expériences de monarchie constitutionnelle et surtout la IIIe République. Les partis n’ont pu ni organiser ni stabiliser le parlementarisme – et il en fut de même sous la IVe République. La Ve République proclame dans sa constitution l’utilité des partis politiques. On lit à l’article 4 que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage », ce qui n’est en fait qu’une partie de leur rôle : ils organisent également la compétition politique…
On sait que de Gaulle lui-même n’aimait pas les partis, et qu’il fut toujours réticent à l’idée d’un parti gaulliste : le RPF devait être un « rassemblement » qui par la double appartenance coifferait les partis démocratiques, et plus tard, il ne se remit jamais tout à fait de ne plus vraiment incarner l’union nationale. D’où le vécu particulier les partis gaullistes successifs. La réforme de 1962, dans la pensée du Général, qui confiait au suffrage universel direct la désignation du président, était faite pour que son successeur concentre une légitimité telle qu’il puisse s’imposer face à toute coalition des partis traditionnels. Ce que de Gaulle ne pensait sans doute pas (mais cela l’aurait-il gêné ?), c’est que cette réforme allait dynamiter de l’intérieur les partis politiques, l’enjeu présidentiel brouillant tout le reste.
François Mitterrand parut éviter cela au parti socialiste : il était l’homme de la IVe République qui comprenait le mieux la contrainte politique crée par la Ve. Sa stratégie de l’union de la gauche, rôdée en 1965, échouant de peu en 1974, sabotée par le parti communiste en 1978, victorieuse en 1981, était la plus efficace dans un paysage politique dominé par l’élection présidentielle. Son habileté manœuvrière, issue probablement d’un itinéraire idéologique particulièrement complexe, le rendant étranger à certaines des pudeurs républicaines de la gauche, et à son expérience politique précoce, lui permit de s’emparer avec audace du jeune parti socialiste en 1971 et de maintenir son leadership sans entraver le développement des différentes tendances du PS. Au contraire, il savait admirablement jouer de leurs divisions, en vrai parlementaire chevronné ayant fait ses armes au centre gauche. Avec l’appui de deux chocs pétroliers et des divisions de la droite post-gaulliste, il put ainsi profiter de l’appui d’une force politique assez nombreuse et dynamique, dont un long séjour loin du pouvoir avait stimulé l’imagination.
Depuis 1981, le parti socialiste n’arrive pas à organiser en son sein la compétition présidentielle, sauf quand, comme en 1995, personne ne veut y aller parce que l’élection paraît ingagnable. On se souvient des infortunes de Rocard, éphémère candidat « virtuel » qui ne parvint pas à prendre le parti. Lionel Jospin parut avoir réglé le problème, mais c’est parce qu’il était premier ministre de cohabitation, ce qui lui conférait une sorte de leadership « à l’anglaise ». Le retour à la logique normale des institutions en 2002 lui fut fatal. François Hollande pouvait incarner un itinéraire logique : assurer d’abord son autorité sur le parti, puis apparaître comme l’homme le mieux apte à le représenter dans sa diversité en 2007. La victoire du « non » en 2005 remit en question cette stratégie : l’autorité de Hollande n’était pas assez « extérieure » au parti pour se remettre d’un tel échec. Le candidat « extérieur » (profitant assez largement pourtant au sein de l’appareil du retrait de son compagnon) fut Ségolène Royal. Et maintenant, c’est Reims…
Pour le Parti Socialiste, aujourd’hui, il vaut peut-être mieux une bonne crise qu’une décadence tranquille. J’ai déjà dit dans ce blog que la « synthèse » est dans un parti la pire des choses ; idéologiquement, « programmatiquement », elle est désastreuse et endort un parti dans les vieux travers identitaires. La formule d’un leader candidat naturel à la présidentielle, entouré d’une équipe restreinte pour gérer le parti, semble la mieux adaptée à la logique de la Ve République post-1962, et la mieux faite pour obliger le PS à une certaine lisibilité. Elle peut placer une équipe en position de mettre à profit les années qui viennent pour mener un travail de fond, idéologique et stratégique.
Ceci dit, on voit bien les risques : je conçois volontiers que le vécu des partis gaullistes (même élargis) n’ait rien de bien enthousiasmant. Ces derniers fonctionnent bien pour préparer les élections présidentielles et comme pourvoyeur d’un ensemble de conseillers du prince, mais on y chercherait en vain de vastes débats politiques. Or, je crois que la droite française peut encaisser (pour l’instant) une plus grande dose de pragmatisme pur que la gauche, qui a à conjurer son péril propre : l’invasion d’un moralisme à courte vue qui ne s’exprime que dans le discours et peine à déboucher sur des propositions concrètes, et même sur des propositions en lesquelles ceux qui les formulent croient vraiment.
Ségolène Royal et son équipe tentent quelque chose, et ils paraissent avoir une stratégie « semi-révolutionnaire », mi-contrôlant, mi-contournant l’appareil. S’ils réussissent, une période se dégagera dans l’histoire politique française, qui commencerait avec la prise de l’UMP par Sarkozy et se clorait avec la prise du PS par Ségolène Royal : deux personnages de la même génération imposent une politique fortement personnalisée avec l’intention proclamée de faire bouger les lignes, et un souci constant de la communication. L’inconnue serait alors de savoir si, de part et d’autre, des projets vraiment cohérents pour accompagner, favoriser et orienter dans la mesure du possible l’évolution de la France parviennent à se dégager…
On sait que de Gaulle lui-même n’aimait pas les partis, et qu’il fut toujours réticent à l’idée d’un parti gaulliste : le RPF devait être un « rassemblement » qui par la double appartenance coifferait les partis démocratiques, et plus tard, il ne se remit jamais tout à fait de ne plus vraiment incarner l’union nationale. D’où le vécu particulier les partis gaullistes successifs. La réforme de 1962, dans la pensée du Général, qui confiait au suffrage universel direct la désignation du président, était faite pour que son successeur concentre une légitimité telle qu’il puisse s’imposer face à toute coalition des partis traditionnels. Ce que de Gaulle ne pensait sans doute pas (mais cela l’aurait-il gêné ?), c’est que cette réforme allait dynamiter de l’intérieur les partis politiques, l’enjeu présidentiel brouillant tout le reste.
François Mitterrand parut éviter cela au parti socialiste : il était l’homme de la IVe République qui comprenait le mieux la contrainte politique crée par la Ve. Sa stratégie de l’union de la gauche, rôdée en 1965, échouant de peu en 1974, sabotée par le parti communiste en 1978, victorieuse en 1981, était la plus efficace dans un paysage politique dominé par l’élection présidentielle. Son habileté manœuvrière, issue probablement d’un itinéraire idéologique particulièrement complexe, le rendant étranger à certaines des pudeurs républicaines de la gauche, et à son expérience politique précoce, lui permit de s’emparer avec audace du jeune parti socialiste en 1971 et de maintenir son leadership sans entraver le développement des différentes tendances du PS. Au contraire, il savait admirablement jouer de leurs divisions, en vrai parlementaire chevronné ayant fait ses armes au centre gauche. Avec l’appui de deux chocs pétroliers et des divisions de la droite post-gaulliste, il put ainsi profiter de l’appui d’une force politique assez nombreuse et dynamique, dont un long séjour loin du pouvoir avait stimulé l’imagination.
Depuis 1981, le parti socialiste n’arrive pas à organiser en son sein la compétition présidentielle, sauf quand, comme en 1995, personne ne veut y aller parce que l’élection paraît ingagnable. On se souvient des infortunes de Rocard, éphémère candidat « virtuel » qui ne parvint pas à prendre le parti. Lionel Jospin parut avoir réglé le problème, mais c’est parce qu’il était premier ministre de cohabitation, ce qui lui conférait une sorte de leadership « à l’anglaise ». Le retour à la logique normale des institutions en 2002 lui fut fatal. François Hollande pouvait incarner un itinéraire logique : assurer d’abord son autorité sur le parti, puis apparaître comme l’homme le mieux apte à le représenter dans sa diversité en 2007. La victoire du « non » en 2005 remit en question cette stratégie : l’autorité de Hollande n’était pas assez « extérieure » au parti pour se remettre d’un tel échec. Le candidat « extérieur » (profitant assez largement pourtant au sein de l’appareil du retrait de son compagnon) fut Ségolène Royal. Et maintenant, c’est Reims…
Pour le Parti Socialiste, aujourd’hui, il vaut peut-être mieux une bonne crise qu’une décadence tranquille. J’ai déjà dit dans ce blog que la « synthèse » est dans un parti la pire des choses ; idéologiquement, « programmatiquement », elle est désastreuse et endort un parti dans les vieux travers identitaires. La formule d’un leader candidat naturel à la présidentielle, entouré d’une équipe restreinte pour gérer le parti, semble la mieux adaptée à la logique de la Ve République post-1962, et la mieux faite pour obliger le PS à une certaine lisibilité. Elle peut placer une équipe en position de mettre à profit les années qui viennent pour mener un travail de fond, idéologique et stratégique.
Ceci dit, on voit bien les risques : je conçois volontiers que le vécu des partis gaullistes (même élargis) n’ait rien de bien enthousiasmant. Ces derniers fonctionnent bien pour préparer les élections présidentielles et comme pourvoyeur d’un ensemble de conseillers du prince, mais on y chercherait en vain de vastes débats politiques. Or, je crois que la droite française peut encaisser (pour l’instant) une plus grande dose de pragmatisme pur que la gauche, qui a à conjurer son péril propre : l’invasion d’un moralisme à courte vue qui ne s’exprime que dans le discours et peine à déboucher sur des propositions concrètes, et même sur des propositions en lesquelles ceux qui les formulent croient vraiment.
Ségolène Royal et son équipe tentent quelque chose, et ils paraissent avoir une stratégie « semi-révolutionnaire », mi-contrôlant, mi-contournant l’appareil. S’ils réussissent, une période se dégagera dans l’histoire politique française, qui commencerait avec la prise de l’UMP par Sarkozy et se clorait avec la prise du PS par Ségolène Royal : deux personnages de la même génération imposent une politique fortement personnalisée avec l’intention proclamée de faire bouger les lignes, et un souci constant de la communication. L’inconnue serait alors de savoir si, de part et d’autre, des projets vraiment cohérents pour accompagner, favoriser et orienter dans la mesure du possible l’évolution de la France parviennent à se dégager…
3 commentaires:
très bon billet comme toujours...
si ce n'est que je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu nous présentes comme une "inconnue" ce qui est malheureusement une évidence, pour ne pas dire un drame. Un effet sciences po peut-être, faire une conclusion pour dire qu'on ne sait plus bien si on pense gris clair ou gris foncé ?
A demain !
Tu me connais cher Pierre-Olivier, je suis toujours prudent dans les pronostics... c'est plus un tic d'historien qu'un réflexe sciences po. J'ai passé tant de temps à lire des pronostics qui ne se sont pas réalisés !
En attendant, j'apprécie beaucoup le fait que ton blog fasse croire qu'on y laisse des commentaires aux aurores !
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