lundi 13 octobre 2008

Le grand retour du camp du "non" ?


La modernité est le règne du débat et de l’information ; aussi chaque événement pénètre-t-il dans l’Histoire accompagné d’un flot de commentaires. Hommes politiques et éditorialistes sont ainsi obligés, dans l’urgence, de tenter de faire parler un phénomène brut, d’essayer de lui arracher son secret. Plus les commentateurs sont engagés, plus l’événement leur semble confirmer leurs analyses précédentes… personne n’échappe à cela, et moi pas plus que les autres. Heureusement, nous pouvons confronter, les uns et les autres, nos points de vue…
Je suis tout de même frappé du fait que l’ancien « camp du ‘non’ » du référendum de 2005 s’estime conforté dans ses certitudes. On l’entendait un peu moins ces dernières années : il s’était fait discret. Où était la promesse d’une Europe plus « sociale » et plus « protectrice » ? Où était le fameux « plan B » ? Où était la nouvelle dynamique qu’une France bloquant la construction européenne n'allait pas manquer de susciter ? Où était même, sur le plan français (je pense à la stratégie de Laurent Fabius) le basculement de l’opinion « à gauche toute » dont le moins qu’on puisse dire est qu’il s’est fait tout petit en 2007 ? Le souverainisme lui-même, chevènementiste ou gaulliste, paraissait devenu diaphane, affaibli par la récupération sarkozyste.
Le revoilà en selle, sur l’air du « on vous l’avait bien dit ». Est-il sûr de ne pas s’être trompé de cheval ? Je crois au contraire que la crise plaide plutôt pour la construction européenne, avec toutes ses imperfections et ses limites.
Historiquement, cette Europe (il suffit de penser à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier de 1951, sa matrice) est un mélange de coopération politique entre États, de libéralisation des échanges, d’ambition régulatrice et de supranationalité. Le centre gauche et le centre droit (des socialistes modérés aux européens de l’UMP) saisissent aujourd’hui la tâche historique de l’Europe (sur le plan socio-économique) comme la conciliation entre les impératifs du marché, une certaine ambition sociale et l’importance accordée aux institutions régulatrices. Les politiques français (et certains de leurs conseillers) ont pris l’habitude de s’attaquer régulièrement à ceux qui incarnent cet ambition (commission européenne, président de la Banque Centrale Européenne) chaque fois qu’ils se heurtent au principe de réalité, et que leur discours volontariste montre ses limites obligées, sans se rendre compte qu’ils sapent la légitimité de l’Europe et limitent en fait, à l’intérieur de l’Europe, les marges de manœuvre de notre pays.
Acceptation de la concurrence, édification de politiques sociales ne plombant pas la compétitivité des entreprises, souci de régulation (hérité en partie de l’ordo-libéralisme allemand), gestion raisonnable des finances publiques : la formule, toujours à adapter, délicate à doser, demeure pertinente aujourd’hui. Les vrais débats, ceux qui peuvent avoir une incidence concrète, sont internes à ce cadre. Jean-Claude Trichet a été vivement attaqué ces dernières années : les deux candidats du second tour en 2007 lui reprochaient son approche anti-inflationniste et une politique monétaire trop restrictive qui en était le corollaire) La poussée inflationniste, corrosive du pouvoir d’achat, et les difficultés du système financier américain lui redonnent bien du crédit…
Les plans de soutien coûteux que les États sont en train d’envisager (si on se place dans l’hypothèse qu’ils seront efficaces) montrent à quel point il est important que les finances publiques soient bien gérées. Que n’a-t-on entendu à propos des critères de Maastricht fixant un maximum de 3% du Produit Intérieur Brut pour le déficit des États membres de l’Union et un maximum d’endettement de 60 % du PIB ? Il apparaît qu'ils ne sont pas seulement une contrainte, mais qu'ils sont aussi une garantie pour l’avenir. Et entendre les anciens « nonistes » nous expliquer qu’il faut laisser filer les finances publiques pour mieux relancer l'économie est pittoreque : ils ne veulent, au fond, que transformer une éventuelle faillite des banques en faillite probable de l’État. D'autre part, les anticapitalistes qui dénoncent la « communauté d’intérêt » entre l’État et les banquiers devraient se rappeler que l’endettement met, d’une certaine manière, la puissance publique entre les mains des banques. Le général de Gaulle, dont on sait à quel point il était adepte du volontarisme politique et envisageait surtout les choses du point de vue national, s’était donné comme priorité en 1958, quitte à prendre pour cela des mesures impopulaires, le redressement des finances publiques…

2 commentaires:

Bab a dit…

Bonjour

De nombreux points que vous abordez méritent débat , je ne m’attacherai pour l’instant qu’à celui concernant les relations entre la crise financière et la politique européenne.
Vous semblez convaincu de l’importance accordée aux institutions régulatrices, cependant on est bien forcé d’admettre au regard des textes (TCE, Lisbonne) qu’ils sont à l’opposé à toute idée de régulation.

En effet dans le traité de Lisbonne:
-l’article 26 (ex-article 14 TCE) précise: « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation (…) des capitaux est assurée »
-l’article 63 (ex-article 56 TCE) précise: « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites »
-auxquels on pourrait rajouter les articles 119 (ex-article 4 TCE), 107, 58 (ex-article 51 TCE)……

Face à cette batterie législative force est de constater qu’en aucune manière la construction européenne actuelle ne tend à vouloir se donner les moyens suffisants de remplir le rôle régulateur que vous appelez de vos vœux.

Si tout comme vous je considère que « la crise plaide pour la construction européenne » , celle-ci ne peut s’organiser qu’autour d’une harmonisation fiscale (ce que l’article 172.2 du TCE interdisait).

Bab

Jérôme Grondeux a dit…

Quand je parle de régulation du type ordolibéralisme, je n'entends pas une limitation des transferts de capitaux. Je pense que le défi européen est justement d'harmoniser libéralisation et régulation. Ce n'est pas dans le sens d'une limitation des échanges financiers ni dans celui d'une harmonisation fiscale que vont forcément les projets régulateurs. Je me permets de vous renvoyer à un excellent article de Franck Lirzin, "L'Union européenne face à la crise financière : quelle réponse ?" du 22 septembre 2008 paru sur le site de la fondation Robert Schuman, http://www.robert-schuman.org/question_europe.php?num=qe-110.