L’expérience de l’historien, s’il ne veut pas vivre complètement dans une bulle (ou dans un mausolée), est parfois un peu schizophrénique, mais je pense qu’elle peut donner à notre regard la profondeur qui lui manque. Je travaille en ce moment sur Victor Cousin, un philosophe spiritualiste du XIXe siècle. Rationaliste, mais persuadé que la raison atteste l’existence de Dieu, l’autonomie de l’âme par rapport au corps, l’éternité et la permanence des valeurs morales. Partisan de la sécularisation, il pensait cependant qu’il fallait éviter le basculement dans le matérialisme, et comptait pour cela sur la collaboration de la libre philosophie et de la religion…
En même temps, parce que c’est la période des vacances (et on sait bien que les universitaires ne sont jamais totalement au boulot et jamais totalement en vacances, éternels étudiants qu’ils sont un peu), je fréquente aussi ces grandes surfaces (d’alimentation, de meubles, d’articles de sport) plantées dans cette plaine de Caen où nous allons, ma famille et moi, dès que nous pouvons.
Entre les grandes envolées de Cousin, l’élévation continuelle où il se maintient, ses réflexions sur la liberté, sur le règne souhaitable de la Raison, et le prosaïsme des rayons bien garnis entre lesquels déambulent des consommateurs interchangeables (moi itou), je me trouve face à un double spectacle : les réflexions d’un penseur qui se préoccupe de maintenir des valeurs spirituelles, quand bien même on ne peut vraiment l’inclure dans une tradition religieuse, et le triomphe de la société de consommation, qui repose sur le modèle du consommateur. Grande est la tentation d’opposer la nature humaine telle que Cousin la rêve, et la nature humaine telle qu’elle se révèle au milieu de la paix, de la prospérité et de la liberté.
Mais cela serait typiquement du mépris d’intellocrate. Qu’est-ce que je sais de ces consommateurs que je croise dans les rayons, de leurs aspirations, de leurs espérances ? En fait, la société de consommation est un mystère : un miracle historique, le recul, pour des millions de femmes et d’hommes, de la misère, de la faim, de la maladie… Un îlot de prospérité, mais que la mondialisation tend à accroître. Une nouvelle étape pour l’humanité, qui peut-être sera enfin, au moins majoritairement, délivrée de nombres d’angoisses qui tenaillent l’espèce depuis les origines.
Et toutes les vieilles questions qui pourtant sont toujours là. Celles qui hantaient Victor Cousin et ses pairs. L’histoire de l’humanité a-t-elle un sens ? La vie individuelle a-t-elle un sens ou est-elle un pur phénomène ? Comment agir au mieux de l’intérêt de la nation ? de l’humanité ? Sommes-nous simplement des animaux supérieurs ou la conscience représente-t-elle profondément autre chose ? Les traditions religieuses font-elles partie du passé, où ont-elles encore quelque chose d’irremplaçable à nous dire ?
Ce ne sont pas seulement les plats surgelés, les fruits, les articles de sport ou les meubles qui sont plus facilement à la disposition de plus de gens. Ce sont aussi les informations, ce sont aussi les grandes œuvres, ce sont aussi les trésors culturels de l’humanité, et du même mouvement. J’aime dans notre temps ce renvoi continuel à notre responsabilité, et j’ai la conviction qu’on avance parce qu’on cherche encore et toujours à répondre à ces vieilles questions…
En même temps, parce que c’est la période des vacances (et on sait bien que les universitaires ne sont jamais totalement au boulot et jamais totalement en vacances, éternels étudiants qu’ils sont un peu), je fréquente aussi ces grandes surfaces (d’alimentation, de meubles, d’articles de sport) plantées dans cette plaine de Caen où nous allons, ma famille et moi, dès que nous pouvons.
Entre les grandes envolées de Cousin, l’élévation continuelle où il se maintient, ses réflexions sur la liberté, sur le règne souhaitable de la Raison, et le prosaïsme des rayons bien garnis entre lesquels déambulent des consommateurs interchangeables (moi itou), je me trouve face à un double spectacle : les réflexions d’un penseur qui se préoccupe de maintenir des valeurs spirituelles, quand bien même on ne peut vraiment l’inclure dans une tradition religieuse, et le triomphe de la société de consommation, qui repose sur le modèle du consommateur. Grande est la tentation d’opposer la nature humaine telle que Cousin la rêve, et la nature humaine telle qu’elle se révèle au milieu de la paix, de la prospérité et de la liberté.
Mais cela serait typiquement du mépris d’intellocrate. Qu’est-ce que je sais de ces consommateurs que je croise dans les rayons, de leurs aspirations, de leurs espérances ? En fait, la société de consommation est un mystère : un miracle historique, le recul, pour des millions de femmes et d’hommes, de la misère, de la faim, de la maladie… Un îlot de prospérité, mais que la mondialisation tend à accroître. Une nouvelle étape pour l’humanité, qui peut-être sera enfin, au moins majoritairement, délivrée de nombres d’angoisses qui tenaillent l’espèce depuis les origines.
Et toutes les vieilles questions qui pourtant sont toujours là. Celles qui hantaient Victor Cousin et ses pairs. L’histoire de l’humanité a-t-elle un sens ? La vie individuelle a-t-elle un sens ou est-elle un pur phénomène ? Comment agir au mieux de l’intérêt de la nation ? de l’humanité ? Sommes-nous simplement des animaux supérieurs ou la conscience représente-t-elle profondément autre chose ? Les traditions religieuses font-elles partie du passé, où ont-elles encore quelque chose d’irremplaçable à nous dire ?
Ce ne sont pas seulement les plats surgelés, les fruits, les articles de sport ou les meubles qui sont plus facilement à la disposition de plus de gens. Ce sont aussi les informations, ce sont aussi les grandes œuvres, ce sont aussi les trésors culturels de l’humanité, et du même mouvement. J’aime dans notre temps ce renvoi continuel à notre responsabilité, et j’ai la conviction qu’on avance parce qu’on cherche encore et toujours à répondre à ces vieilles questions…
2 commentaires:
J'aime beaucoup cet article; sans doute un de vos meilleurs, n'en déplaise à certains. Je partage tout à fait vos questionnements et votre point de vue: l'universitaire n'est jamais au travail et jamais en vacances.
ha ! pas de photo pour cet article :-) qui reste toutefois un excellent moment de réflexion
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