Le compte-rendu fidèle (et en sympathie mesurée) de Cécile et le long (et plus critique) commentaire de Robin nous aident à dessiner les contours de la tentative Villepin et à évaluer sa portée.
D’abord, on voit bien ce qui peut faire adhérer, ce qui explique d’ailleurs les 6 000 participants au lieu des 3 000 attendus le 10 juin, et le fait que fort probablement, Dominique de Villepin pourra avoir ses 500 signatures : l’existence d’une sorte de quasi-parti, celui des orphelins du centre et de la droite. Esquissons une typologie de ces orphelins :
Les libéraux tout d’abord : ils sont une des composantes historiques du centre, mais ils ont été séduits souvent, comme le regretté Jacques Marseille, par la rhétorique sarkozyste de la rupture. Le culte du « passage en force » chez les libéraux pourrait sembler curieux, mais il exprime en partie leur désarroi, ancien, face à la démocratie, à son irrationalité. Cette irrationalité les inquiète quand elle est révolutionnaire et donne prise aux « démagogues », et les irrite quand elle est conservatrice alors qu’il leur semble depuis les années 1970 que le vent de l’Histoire souffle en leur faveur. La «rupture », c’était assommer l’opinion, prendre de vitesse la démocratie et les contrepouvoirs. Les libéraux ici oubliaient allègrement Montesquieu pour Milton Friedman, et goûtaient par avance les sombres délices du despotisme éclairé, mais dans une version « soft » où la communication remplace la contrainte brutale. Ceux-là, Bayrou ne pouvait pas les récupérer durablement, quand bien même il a envoyé des signaux vers eux au début de la campagne de 2007, en insistant par exemple sur le problème de la dette. Tout ce qu’il pouvait leur offrir était le goût des institutions et des contrepouvoirs, ce que précisément ils avaient mis entre parenthèses pour soutenir Nicolas Sarkozy.
Maintenant, ils sont disponibles : la « rupture » a été au mieux une inflexion. Au pire, elle s’est perdue dans les sables de l’entre-deux-tours et de la pseudo-technocratie du régime. Qui ira les chercher ? Certes pas François Bayrou, qui a tenté de bâtir son « centre » sur un fondement historique ultra-mince et à vrai dire plutôt inquiétant, celui du rejet jumeau du socialisme et du libéralisme. Dominique de Villepin ? On en reste, Cécile le montre, à un discours de volontarisme politique mâtiné de souci social qui est une marque de fabrique du gaullisme. La célébration de « l’exécutif fort », le recours à « l’homme providentiel », ne peut intéresser les libéraux qu’adossé à un programme de réformes économiques et sociales libérales, ce qui n’est pas le cas ici.
Les centristes sociaux ensuite, héritiers de la démocratie chrétienne version MRP. L’aspect social du discours, le projet, comparable à celui de François Hollande, de relever les impôts peut les séduire chez Villepin, et il le ferait encore plus s’il était associé à l’idée de rigueur dans les dépenses (mais l’ancien premier ministre ne va pas aider ici le gouvernement en adhérant à un tel projet). Chez François Bayrou, ils se sont trouvés noyés par les écologistes, qui finalement vont retourner chez eux en emportant les meubles. Ils gardent cependant une implantation. Comme on le lit dans le dernier numéro de Commentaire, les seuls candidats du Modem qui n’ont pas connu une humiliation complète aux régionales sont issus de leur rang. Ils seront preneurs de tout ce qui semble plus « social » que Nicolas Sarkozy ; par contre, si François Fillon se montre, ils hésiteront à rejoindre franchement Dominique de Villepin. Et il ne faut pas oublier, même si le manque d’un vrai leader se fait ici cruellement sentir, l’existence du Nouveau Centre qui les arrime à la majorité présidentielle.
Ceux-là aussi, d’ailleurs, « l’exécutif fort » doit les tenter modérément. Il y a cinquante ans que les centristes accumulent de la rancœur contre les gaullistes auxquels ils sont par ailleurs obligés de s’allier, et tous les gaullistes ne sont pas Georges Pompidou ou Édouard Balladur pour les séduire. Le style de Dominique de Villepin n’est pas le leur.
Troisième type d’orphelin, les gaullistes. Cécile montre bien comme Dominique de Villepin joue sur les fondamentaux gaullistes. Je crois qu’il le fait à la manière chiraquienne, avec une touche d’auto-enchantement supplémentaire. Et j’adhère pleinement à la remarque de Robin : ce discours n’est pas porteur d’une autre politique. La manière chiraquienne, c’est de faire (sauf en matière de politique extérieure) du discours gaulliste le cache-sexe d’une politique sans initiative se bornant aux réformes strictement nécessaires. Mais les gaullistes sont en fait structurellement orphelins. Ils ont été orphelins du général de Gaulle dès le début des années 1960 ; je l’ai écrit ailleurs, mais la crise du gaullisme est patente dès 1965. J’avoue que je n’attend pas grand-chose d’une mobilisation de ce secteur de l’opinion : le gaullisme demeure principalement une ressource rhétorique, et vaut ce que vaut la crédibilité de celui qui la mobilise.
Du point de vue de Dominique de Villepin, tout cela n’incline pas à l’optimisme. On ne peut passer de la querelle de leadership à la définition d’une ligne politique alternative qu’en fondant un véritable parti ou une tendance à l’intérieur d’un parti. Dans les deux cas, on constitue un réseau. Le talon d’Achille du gaullisme reste la surestimation de ce que peut faire un homme seul entouré de quelques conseillers dans une société complexe et mouvante. Rien dans l’entreprise de Dominique de Villepin, qui ressemble en cela à celle de François Bayrou, ne me paraît y remédier ; mais les éventuels ralliements nous en diront peut-être plus.
D’abord, on voit bien ce qui peut faire adhérer, ce qui explique d’ailleurs les 6 000 participants au lieu des 3 000 attendus le 10 juin, et le fait que fort probablement, Dominique de Villepin pourra avoir ses 500 signatures : l’existence d’une sorte de quasi-parti, celui des orphelins du centre et de la droite. Esquissons une typologie de ces orphelins :
Les libéraux tout d’abord : ils sont une des composantes historiques du centre, mais ils ont été séduits souvent, comme le regretté Jacques Marseille, par la rhétorique sarkozyste de la rupture. Le culte du « passage en force » chez les libéraux pourrait sembler curieux, mais il exprime en partie leur désarroi, ancien, face à la démocratie, à son irrationalité. Cette irrationalité les inquiète quand elle est révolutionnaire et donne prise aux « démagogues », et les irrite quand elle est conservatrice alors qu’il leur semble depuis les années 1970 que le vent de l’Histoire souffle en leur faveur. La «rupture », c’était assommer l’opinion, prendre de vitesse la démocratie et les contrepouvoirs. Les libéraux ici oubliaient allègrement Montesquieu pour Milton Friedman, et goûtaient par avance les sombres délices du despotisme éclairé, mais dans une version « soft » où la communication remplace la contrainte brutale. Ceux-là, Bayrou ne pouvait pas les récupérer durablement, quand bien même il a envoyé des signaux vers eux au début de la campagne de 2007, en insistant par exemple sur le problème de la dette. Tout ce qu’il pouvait leur offrir était le goût des institutions et des contrepouvoirs, ce que précisément ils avaient mis entre parenthèses pour soutenir Nicolas Sarkozy.
Maintenant, ils sont disponibles : la « rupture » a été au mieux une inflexion. Au pire, elle s’est perdue dans les sables de l’entre-deux-tours et de la pseudo-technocratie du régime. Qui ira les chercher ? Certes pas François Bayrou, qui a tenté de bâtir son « centre » sur un fondement historique ultra-mince et à vrai dire plutôt inquiétant, celui du rejet jumeau du socialisme et du libéralisme. Dominique de Villepin ? On en reste, Cécile le montre, à un discours de volontarisme politique mâtiné de souci social qui est une marque de fabrique du gaullisme. La célébration de « l’exécutif fort », le recours à « l’homme providentiel », ne peut intéresser les libéraux qu’adossé à un programme de réformes économiques et sociales libérales, ce qui n’est pas le cas ici.
Les centristes sociaux ensuite, héritiers de la démocratie chrétienne version MRP. L’aspect social du discours, le projet, comparable à celui de François Hollande, de relever les impôts peut les séduire chez Villepin, et il le ferait encore plus s’il était associé à l’idée de rigueur dans les dépenses (mais l’ancien premier ministre ne va pas aider ici le gouvernement en adhérant à un tel projet). Chez François Bayrou, ils se sont trouvés noyés par les écologistes, qui finalement vont retourner chez eux en emportant les meubles. Ils gardent cependant une implantation. Comme on le lit dans le dernier numéro de Commentaire, les seuls candidats du Modem qui n’ont pas connu une humiliation complète aux régionales sont issus de leur rang. Ils seront preneurs de tout ce qui semble plus « social » que Nicolas Sarkozy ; par contre, si François Fillon se montre, ils hésiteront à rejoindre franchement Dominique de Villepin. Et il ne faut pas oublier, même si le manque d’un vrai leader se fait ici cruellement sentir, l’existence du Nouveau Centre qui les arrime à la majorité présidentielle.
Ceux-là aussi, d’ailleurs, « l’exécutif fort » doit les tenter modérément. Il y a cinquante ans que les centristes accumulent de la rancœur contre les gaullistes auxquels ils sont par ailleurs obligés de s’allier, et tous les gaullistes ne sont pas Georges Pompidou ou Édouard Balladur pour les séduire. Le style de Dominique de Villepin n’est pas le leur.
Troisième type d’orphelin, les gaullistes. Cécile montre bien comme Dominique de Villepin joue sur les fondamentaux gaullistes. Je crois qu’il le fait à la manière chiraquienne, avec une touche d’auto-enchantement supplémentaire. Et j’adhère pleinement à la remarque de Robin : ce discours n’est pas porteur d’une autre politique. La manière chiraquienne, c’est de faire (sauf en matière de politique extérieure) du discours gaulliste le cache-sexe d’une politique sans initiative se bornant aux réformes strictement nécessaires. Mais les gaullistes sont en fait structurellement orphelins. Ils ont été orphelins du général de Gaulle dès le début des années 1960 ; je l’ai écrit ailleurs, mais la crise du gaullisme est patente dès 1965. J’avoue que je n’attend pas grand-chose d’une mobilisation de ce secteur de l’opinion : le gaullisme demeure principalement une ressource rhétorique, et vaut ce que vaut la crédibilité de celui qui la mobilise.
Du point de vue de Dominique de Villepin, tout cela n’incline pas à l’optimisme. On ne peut passer de la querelle de leadership à la définition d’une ligne politique alternative qu’en fondant un véritable parti ou une tendance à l’intérieur d’un parti. Dans les deux cas, on constitue un réseau. Le talon d’Achille du gaullisme reste la surestimation de ce que peut faire un homme seul entouré de quelques conseillers dans une société complexe et mouvante. Rien dans l’entreprise de Dominique de Villepin, qui ressemble en cela à celle de François Bayrou, ne me paraît y remédier ; mais les éventuels ralliements nous en diront peut-être plus.