mardi 6 avril 2010

Le vide et le panache


Dominique de Villepin a décidé de fonder un mouvement politique. Cela ne frappe personne – pas même moi sur le coup, mais, au fond, la chose est énorme. Un homme, seul, qui n'a jamais été élu, fonde un mouvement politique. Il est vrai qu'il est ancien premier ministre, il est vrai que Raymond Barre, de même, avait ses clubs. C'est la particularité de la cinquième république : on peut avoir dirigé le gouvernement de la France sans avoir jamais donné au moindre électeur l'occasion de vous accorder ou de vous refuser sa confiance. Georges Pompidou, dont l'oeuvre politique est considérable et méconnue, est arrivé au pouvoir ainsi, après tout. Les IIIe et IVe républiques étaient des régimes d'élus, la cinquième république est, en partie, un régime de hauts fonctionnaires. Un défi de plus à l'idée de la permanence d'un « modèle républicain » fixe.
Un homme seul fonde un mouvement politique. Ici, on n'objectera plus à ma surprise un peu hypocrite Raymond Barre, mais Charles de Gaulle. Grande référence, grand modèle pour Dominique de Villepin. Mais cela pose deux problèmes : un problème de légitimité du fondateur, et un problème tenant au type de mouvement que l'on veut fonder. Légitimité : de Gaulle se réclamait, selon ses propres termes, d'une « légimité historique » née le 18 juin 1940. Cela se comprend. Quand dans son allocution de 1969, celle où il annonçait qu'il partirait en cas d'échec du référendum sur la décentralisation et la réforme du Sénat, il évoquait la fin d'une page qu'il avait ouvert depuis bientôt trente ans dans notre histoire, il pouvait le faire sans que l'on s'esclaffe.


Mais qui peut le faire aujourd'hui ? Vouloir, mieux encore, réussir, au moins pour un temps, à incarner la France qui se bat aux yeux de l'opinion, voir la France tout court, cela n'est possible que lorsqu'un homme à la puissance de décision exceptionnelle rencontre des circonstances exceptionnelles. On peut alors fonder un mouvement, et encore.


Quel type de mouvement ? Celui que Charles de Gaulle envisagea, avec le lancement du RPF, en 1947 était un Rassemblement Pour la France, rassemblement autour d'une personnalité éminente, la sienne. Il prévoyait la double appartenance avec tous les partis politiques à l'exclusion, guerre froide oblige, du parti communiste. Par la suite, il fallut bien faire des partis gaullistes, de l'UDR au RPR, mais ces partis ne purent jamais développer une véritable existence comme force de débat et de proposition, ni comme lien entre la société civile et la classe politique. Un mouvement politique ne peut avoir de consistance idéologique que s'il correspond à une tradition politique (socialisme, républicanisme, démocratie chrétienne) ou à une aventure collective qui devient une tradition politique (l'écologie politique).


Dans la mesure où le gaullisme a été une aventure collective, où il a synthétisé de multiples apports, il a pu avoir une certaine consistance, à mon sens bien incertaine depuis les années 1960. Quelle peut être la consistance idéologique du mouvement fondé par Dominique de Villepin ? Aucune, me semble-t-il, sauf un mélange de rhétorique sur la grandeur française et d'anti-sarkozysme qui risque d'être aussi éclectique que le sarkozysme lui-même.


Pourtant, on comprend que Dominique de Villepin tente sa chance, tant tout le monde ressent un grand vide à droite.Le sarkozysme n'était qu'une stratégie audacieuse de conquête du pouvoir pour un exercice entre pr!agmatisme, audaces fugitives et opportunisme pur. Nul autre que Nicolas Sarkozy, avec son talent et ses limites, ne peut emprunter ce chemin là. Le pont de bois brule derrière ses pas. L'UMP est devenue illisible: les inconvénients d'être un parti "au pouvoir" sont doublés par l'absence de tendances : nul ne peut incarner une éventuelle relève. Xavier Bertrand, idéologiquement peu charpenté, idéal pour faire une soudure parti/Elysée, donnerait-il même prise à une opposition interne? Les centristes ne sont pas regroupés, en partie par tempérament, en partie faute d'un leader. Et quel leader pourrait se dégager quand il n'y a plus d'espace pour être un grand ministre? Seul un François Fillon pourrait jouer ce role. Encore faudrait-il qu'il parte et cesse d'assumer des choix qui ne sont que faiblement les siens. Bref, entre l'enlisement de François Bayrou et le flou de l'UMP, il y a théoriquement de la place à droite. Dominique de Villepin tente de l'occuper à coup de panache.